Keeping me alive (ft Ken)

La situation était étrange. Autant pour toi que pour Anka. Il ne devait pas te comprendre, et pour le coup, tu ne pouvais le blâmer. Toi non plus tu ne savais pas ce qu’il se passait à l’intérieur de toi, et cela te mettait dans un état d’embarras complet, la confusion s’y mêlant. Tu essayas de penser à autre chose, sécher ton corps avec la serviette déjà humide, qui te provoquait nombre de frissons sur ta peau, hérissant le poil de tes bras. Tu ne pensais jamais aux cicatrices sur ton torse, celle épousant avec perfection les muscles pectoraux. Tu avais mis du temps à avoir ce corps, celui que tu avais toujours voulu, alors tu l’entretenais pour te plaire au maximum.

Sans le regarder, tu lui demandas alors s’il faisait cela souvent, créer des formes avec le feu qu’il manipulait. Tu te posais plein de questions sur le fonctionnement de la magie, mais tu n’étais pas sûr d’avoir une vraie réponse. Tu étais quasiment certain que Anka te répondrait que c’était comme ça, point. Un « non » tomba dans la grotte, le silence gênant venait d’être à nouveau brisé, et par un seul mot. Tu restas perplexe, le temps de quelques secondes, le temps qu’il t’explique.

Tu l’écoutas avec attention, parce que si Anka parlait aussi longtemps, c’était parce qu’il voulait être honnête, parce que même si c’était rare, il souhaitait échanger avec toi quelque chose. Il ne l’aurait jamais fait quelques semaines auparavant, il ne t’aurait jamais considéré comme une personne, avant d’être une simple vengeance, avant d’être un rappel de ce type qu’il détestait du plus profond de son être. Comme une sorte de répulsion naturelle, comme quelque chose qui avait germé en lui depuis sa naissance.

Les flammes étaient des armes pour lui. Tu baissas les yeux, interrompant inconsciemment ton essuyage corporel. Comment pouvait-on voir le feu différemment que pour détruire, brûler, réduire en cendre ? Tu comprenais en ce sens. Tu avais tendance à oublier qu’il était un dragon. Oui, il était une de ces créatures mystiques que tu adorais dans les jeux vidéo, que tu te refusais de tuer dans un monde virtuel, que tu aimais au point d’en avoir fait des recherches. Étant gosse, tu t’étais demandé s’ils avaient existé, et tu avais regroupé tout un tas de conneries à ce sujet. Tu étais passionné en quelque sorte, ça t’est passé avec le temps, mais tu les aimes toujours autant. D’une autre manière, de tes yeux de jeune adulte. Et encore différemment depuis ta rencontre avec Anka.

Tu étais touché que ton compagnon de route t’annonce que c’était la première fois qu’il essayait autre chose avec cette petite flamme. Il ne détruisait pas, mais créait quelque chose de nouveau, échappant malgré lui et sans doute avec inconscience à sa véritable nature de monstre effrayant. Tu n’osas pas le regarder, toujours perdu dans tes pensées. Tu repris tranquillement ta toilette sommaire, les yeux perdus dans le vide devant toi. Tu avais la voix d’Anka qui se répétait encore et encore dans ta tête, faisant tourner en boucle ses mots pour les imprimer, pour les comprendre un peu plus.

Il s’arrêta dans sa phrase, et cela éveilla ta curiosité. Tu mis la serviette sur ta tête pour essorer à nouveau tes cheveux, et glissas un regard furtif dans sa direction, pour essayer de savoir pourquoi il s’était soudainement stoppé. Il reprit bien vite, avec une excuse qui sonna faux à ton oreille. Dissimulé à moitié derrière la serviette, tu ne pus empêcher un petit sourire de naître sur tes lèvres. Il l’avait fait pour toi, non ? C’était ce que tu devais saisir, et le message avait été parfaitement transmis.

La chaleur s’intensifia un petit peu, tu ne la sentis que légèrement, frissonnant violemment. Cela te surprit, tu ressentais les petits picotis jusque dans tes cheveux, c’était loin d’être une sensation agréable pour être tout à fait franc. Un nouveau blanc s’installa, tandis que discrètement tu t’approchas d’Anka. Encore. Encore un petit peu. Jusqu’à ce que ton bras rencontre le sien. Jusqu’à ce que vos peaux soient en contact. Tu avais froid, tu n’étais qu’un humain fragile après tout. Tu détournas le regard, la roche de la grotte semblait intéressante tout à coup. Tu ne voulais pas le regarder, pas voir sa réaction. Tu avais un peu d’appréhension, qu’il te rejette, qu’il s’en aille en criant quelque chose de méchant.

Tu te figeas suite à la remarque sur ton rire. Tu ne savais plus où te mettre, où te cacher et comment réagir. Toi, si sûr de toi, si taquin avec lui, il semblait tellement « calme » et honnête que tu étais troublé. Il enchaîna immédiatement, te demandant d’oublier. Mais c’était impossible, tu n’oublierais pas. La tête tournée à l’inverse d’Anka, tu bafouillas quelque chose d’assez audible pour qu’il puisse entendre. « Je ris jamais comme ça … Je pensais que j’en étais plus capable. » Tu pinças tes lèvres avant de le regarder de biais, les joues un peu rouges, le visage à moitié caché par la serviette. « Faut croire que tu chamboules ma vie depuis mon arrivée ici. »

Chambouler, oui, c’était le mot. Tu ne pouvais décrire autrement l’effet d’Anka sur ta vie depuis que tu avais découvert le Japon Féodal. Cela faisait deux mois que ton existence avait pris un tournant plus que décisif sur ta manière de vivre, de voir les choses, les gens et le monde. Deux mois que tu avais rencontré des personnages dignes de folklores. Cela te laissait encore la sensation de rêver, d’être en plein délire, de devenir fou, mais tout n’était plus aussi désagréable que la première fois. Après tout, Anka te balançait de moins en moins de menaces, il semblait plus … Calme ? Depuis qu’il t’avait confié sous le feu de larmes brûlantes ses pensées, ses craintes, ses désirs. Tout avait explosé en lui, et tu avais pris ses émotions sur toi comme un tsunami, tu les avais reçues en pleine face. Le coup avait été dur à encaisser, mais tu avais décidé de partager sa peine, son fardeau, lui promettant de l’aider.

C’était inédit, tu ne comprenais toujours pas.

À votre proximité, il n’avait pas bougé, n’avait rien dit, n’avait pas réagi. Tu cherchais sa chaleur, oui, après tout, il faisait froid, et à moitié dénudé de cette façon, ça n’aidait pas, mais aussi à te rapprocher de lui, sans comprendre pourquoi. Depuis ce baiser venimeux échangé, tu te sentais étrange en sa présence, et tu avais peur de réellement te pencher dessus. Tu continuais de te voiler la face pour mieux vivre la situation. C’était mieux ainsi. Pour toi.

La serviette tomba de ta tête, alors que tes gestes étaient restés en suspens, suite à ses mots. Il recommençait à être désagréable. Tu grimaças et poussas un léger soupir. On ne changeait pas un loup en mouton après tout. C’était même insensé de vouloir le faire, de penser que c’était possible. Tu te sentais un peu idiot, même si étrangement, sa voix n’avait rien eu d’agressif. Au contraire, le ton employé était calme, malgré le choix des mots vulgaires. « Tu devrais t’essayer à sourire aussi, ça te décoincerait peut-être. » Un peu de susceptibilité dans la voix malgré toi, tu lui avais répondu ça sans trop réfléchir.

Quelle tête ça lui ferait s’il souriait ?

Tu te mis à le fixer en l’imaginant sourire, mais toutes les images que tu avais en tête te donnait la gerbe. Après tout, c’était une image forcée qui contrastait trop avec les traits de son visage. S’il souriait sincèrement, qu’est-ce que ça donnerait ? Tu étais curieux. Trop curieux. Soudainement, tu eus envie de le dessiner, de pouvoir enfin mettre sur papier ce que tu avais retenu jusque-là. Tu te levas alors, décollant vos bras qui te fit brutalement ressentir le froid de la grotte, pour aller récupérer ton sac à dos échoué un peu plus loin.

Un éclair tomba non loin de l’entrée, tu sursautas, tes poils se dressèrent sur tes avant-bras, te pétrifiant à nouveau, sur place, debout en face du double-face. Tu avais oublié ce détails. Ce qui avait provoqué votre rapprochement avec Anka, dans cette grotte sauvage. Tu avais réussi à oublier, et maintenant que tu t’étais éloigné de lui, tout revenait comme un cauchemar. Les coups, les insultes. La vengeance d’Anka faisait écho à ton esprit comme la pire mélodie qui tourne en boucle, sans jamais s’arrêter. Un air qui donne envie de s’arracher les cheveux, tellement ça reste, tellement ça hante.

Et si …

Et si ce que ton ancêtre avait fait à sa famille, c’était toi qui l’avait payé des générations plus tard ? Et si c’était simplement le destin qui t’avait puni, qui se vengeait du massacre de ce fou de Kurage ? Tu étais perdu dans tes pensées, une terreur au fond des yeux, et des mots parvinrent à se frayer un chemin jusqu’à tes lèvres. « J’aurai préféré mourir. Mais ils m’ont toujours laissé en vie. Anka, toute mon enfance, on s’amusait à couvrir mon corps d’humain fragile de coups, à me laisser des heures dans une semi inconscience, pour ensuite recommencer le lendemain. Tu me détestes tellement que tu dois être content d’apprendre qu’un type comme moi se prenait sans arrêt des coups, non ? Tous les jours, sans interruption. Après tout, n’importe quel Kurage ferait l’affaire hein ? » Tes bras encerclèrent ton corps, comme pour te protéger, comme pour t’échapper de cette sensation, rester dans la réalité, rester connecté à cette pluie, cet orage non loin qui te paralysait.

Ton regard était plongé dans celui d’Anka, avec un sourire mauvais, un rictus rempli de souffrance. Tu ne le voyais pas vraiment, il était trop loin dans la grotte, il n’était visible que par la lueur de sa flamme. « Tout ça … » L’orage gronda au-dessus de vous, alors que tu resserras ton emprise sur toi-même. Ils te frappaient encore et encore, en cet instant. Ton esprit avait été marqué par cette violence gratuite, par ces mots trop brutaux pour un enfant. Tu n’étais qu’un gamin, qu’est-ce que tu aurais pu faire ? Tout seul, avec une silhouette minuscule, une force minuscule, un cerveau minuscule. « Si j’étais mort, si je n’étais jamais venu dans ce monde, qu’est-ce que tu aurais fait Anka ? Aujourd’hui, je te donne l’espoir de me tuer un jour, d’accomplir ta vengeance après avoir compris pourquoi ce Kurage t’a enlevé ta famille … Mais le seul Kurage qu’il reste, c’est moi. » L’autre était mort depuis belles lurettes à ton époque moderne. Il était déjà enterré depuis des mois, voire des années dans cette ère féodale.

« Y a que moi. » Tu fermas les yeux, retenant une larme de couler, mais ta voix venait de se briser. Tu regrettais tout ce que tu venais de lui dire, mais c’était trop tard maintenant. Tu lui avais dit, tu lui avais balancé ton passé à la figure, et tu avais peur qu’il s’en réjouisse vraiment. Tu ne bougeais plus, tu n’avais plus la force de quoi que ce soit.

Tu te souvenais de leur violence. De leurs coups. Leur poing sur toi. Sur ton corps de gamin. Tu te rappelais de leurs mots. Leurs insultes. La manière dont ils te regardaient, les nombreuses heures passées dans ta chambre à pleurer, à te détester, à vouloir te faire du mal pour disparaître complètement. Tu n’en avais jamais eu le courage. Tu n’en aurais toujours pas le courage à ce jour. Tu n’étais qu’un faible humain, maintenu par un minuscule fil auquel tu t’accrochais désespéramment, en espérant ne jamais couler totalement. En espérant avoir au moins le nez en dehors de l’eau. Tu ne voulais pas te noyer … Non. Même si tu avais peur. Même si tu étais effrayé par le simple fait de vivre.

Alors tes émotions étaient sorties.
Comme un tsunami, elles s’écrasaient sur la personne que représentait Anka.
Qui était-il pour toi ?
Que faisait-il dans ta vie ?
Quel lien aviez-vous exactement ?
Tu ne saurais répondre à toutes ces interrogations, malgré tes essais.

Parce que tu voulais te voiler la face.
Encore un peu.
Encore un peu plus longtemps.

Ta voix se brisait au fur et à mesure de tes paroles. Tu laissais tes émotions te submerger. Ton regard avait beau être plongé dans le regard froid d’Anka, tu ne voyais rien d’autre que tes souvenirs maussades. Comme si les flashback de ta vie passée n’étaient pas réels. Comme si on te balançait les images d’un mauvais film à suspens, à émotions fortes, pour te faire craquer. Tu avais la sensation que c’était si loin, et si proche à la fois. Tu ne pouvais réellement mettre de mots dessus. Cela te dépassait complètement.

L’orage continuait de gronder en même temps que tout déferlait sur toi comme une tornade extrêmement puissante. Tu te laissais sombrer, petit à petit, dans ton passé le plus obscur. Tu continuais de couler, sans être capable de te raccrocher à quoi que ce soit. La vérité de tes mots venaient de t’achever. Tu gardais le silence. Tu retenais tes larmes pour une raison que tu ignorais.

Tu baisses la tête.
Tu fermes les yeux.
Tu essaies de t’échapper.
De cette fausse réalité qui défile dans ton esprit.
Tu veux que ça s’arrête.

La voix d’Anka s’éleva, te faisant sursauter et relever le regard sur lui. Tu eus un geste de recul. Non pas parce que tu avais peur de lui, mais parce que tu étais surpris de le savoir si près, de le voir si près, de le sentir si près de toi. De ne pas l’avoir entendu se lever et s’approcher. Sa voix te fit tressauter comme une feuille. Autant que lorsque les éclairs et l’orage s’amusaient à entrer en harmonie pour illuminer la grotte et gronder en même temps.

Tu l’écoutais malgré toi. Il te ramenait au moment présent. Tu te prenais des coups avec ses mots, tu les prenais en pleine face sans être capable de te protéger. Il semblait se contredire, ses émotions elles-mêmes étaient contradictoires. Pourquoi vouloir te rassurer, si c’était pour balancer qu’il voulait quand même aller au bout de sa vengeance. Tu étais perdu. Tu ne comprenais plus rien.

Une larme roula sur ta joue.
Puis deux.
Puis un millier.

Tu remarquais que dans les yeux de ce démon, l’eau commençait à affluer également. Anka était quelqu’un d’émotif malgré son air strict et assassin. Il te l’avait déjà prouvé. Pourquoi ne pouvait-il pas se contenter d’être heureux de ton malheur ? Tu ne comprenais rien. Sa voix se faisait désespérée, brisée, tu en avais le cœur en miettes, mais dans cette histoire, c’était toi qui était le plus à plaindre, non ? Tu n’étais qu’un pauvre humain perdu dans un Japon Féodal qu’il n’avait jamais connu. Dans un monde trop brutal. Dans un monde folklorique.

Ses larmes coulaient.
À son tour.
Tu gardais le silence.
Tes mots avaient disparu.

Alors ça ne lui faisait pas plaisir d’apprendre cela à ton sujet ?
Pourquoi ?

Si c’était ainsi que tu le voyais ?
Il ne t’avait pas montré autre chose que de la haine depuis ton arrivée. C’était plutôt compliqué d’imaginer qu’Anka ressentait quoi que ce soit de positif pour toi.

Il ne semblait pas capable de se réjouir de ce que tu avais vécu.
Tu avais su mal à saisir. Si tu détestais quelqu’un aussi profondément que Anka détestait ton ancêtre et toute sa lignée, alors tu serais heureux de savoir que sa vie n’avait pas été entièrement facile. Que lui aussi, avait vécu des choses terribles. Que des événements l’avaient traumatisé. Alors pourquoi ne pouvait-il pas en être ravi ? Sauter de joie ? Pourquoi …

Il parlait de sa puissance, comme si elle n’était rien qu’une brise d’été. Comparée à la tienne, sa force était magique. C’était comme regarder un film, ou bien lire un manga. Être transporté dans une histoire complètement dingue, où tu avais un petit rôle à jouer, où tu étais le spectateur … Et il osait te dire, à toi, qu’il aurait voulu être plus fort …

Ton coeur se serra à l’entente de ses mots.
Il ne souhaitait pas que tu penses cela de lui. Tu écarquillas les yeux suite à ses diverses confessions. Tu ne savais plus quoi penser. Tu pinças tes lèvres entre elle, les coinçant avec tes dents, tout en essayant de contenir tes émotions. Mais des centaines et des centaines de larmes continuaient de couler sur tes joues, allant jusqu’à tremper ton cou, puis glissant courageusement sur ton torse.

Tu ne savais pas en quoi tu étais doué. Tu n’avais pas non plus de qualités spéciales pour réconforter les gens. Tu étais même démuni face aux larmes, face aux cris, face à la détresse d’un regard. Tu avais souvent envie de fuir, envie de tout laisser tomber, mais malgré tout, tu te battais.

Ton coeur rata un battement. Il n’aimait pas te voir comme ça, recroquevillé sur toi-même. Les larmes s’arrêtèrent un instant, laissant des rougeurs prendre tes pommettes d’assaut. Qu’est-ce qu’il était en train de dire ? Qu’il ne te détestait pas ? Comment était-ce possible ? Tout ce qu’il te disait … S’ancrait en toi. Se gravait quelque part sur ta peau. Dans ton esprit.

Tu desserras l’étreinte sur ton corps, laissant à nouveau les émotions affluer sur ton visage. Des larmes peut-être plus calmes, plus contrôlées, s’échouaient doucement sur tes joues. Tu n’arrivais pas à voir clair, entre tes larmes et toutes les confessions qu’il déversait sur toi … Tout était mitigé. Tout était plus compliqué à présent. Tu ne savais plus comment réagir, quoi dire. Tout était bloqué.

Pourtant, une chose était sûre.
Anka ne te détestait pas.
Il ne voulait pas ton malheur.
Il n’était pas enchanté de ton passé.

Tu serras tes poings le long de ton corps, avant de t’approcher de lui, ne laissant que quelques centimètres entre vos visages. Entre quelques larmes, tes mains tremblantes et faibles s’avancèrent jusqu’à tenir le haut de ses bras avec le peu de force qu’il te restait. « Tu ne dois pas pleurer ! Si tu le fais, ça va rendre le tout encore plus compliqué pour moi … C’est plus facile si tu me détestes, c’est plus simple si on se déteste, si on ne peut pas se supporter, si on n’arrive pas à se regarder … » Tu baisses les yeux, n’osant plus le regarder. « Tu mens, je ne suis pas aussi doué que ça, je ne sais pas réconforter les autres. Je suis impulsif, je ne suis qu’un idiot qui pense aux autres avant lui-même et j’essaie de tout faire pour ne pas être mauvais ! »

Tu le lâchas, pour glisser tes mains dans tes cheveux, les agrippant comme si tu voulais les arracher. Tes yeux étaient perdus entre le désespoir et la folie de tes souvenirs. « Je sais que personne ne pourra effacer ça, mais tu n’imagines pas l’enfer que ça a été ! Tu ne peux rien faire, mais je te demande rien ! C’est là, c’est comme ça ! Je sais bien que ça ne pourra pas éponger la perte d’un être cher, mais pour le moment, contentes toi de ces coups portés sur ma faible personne pour soulager ta haine. Acceptes ma souffrance, prends la et fais en ce que tu veux. Tu peux en rire … Non, tu dois en rire ! Tu dois te moquer ! »

Tu perdais complètement les pédales. Tu déraillais totalement. Les larmes s’intensifiaient. Faiblement, tremblant de tout ton être, tu te laissas glisser au sol, pour te recroqueviller à nouveau sur toi-même. Anka était magnifique. Ce regard. Ces pouvoirs. Ce mythe sur les dragons. Cette voix. Cette présence. Cette chaleur. Ces attentions maladroites. Tu avais peur d’apprécier tout cela chez lui. Si tu te rendais à l’évidence alors tu …

« Je ne veux pas ! Je peux pas ressentir ça pour toi, Anka. Empêches-moi, détruits-moi, fais en sorte que je te déteste du plus profond de mon âme … Parce que … Ces sentiments que j’ai pour toi … Je suis incapable de les contrôler. »

Tu es recroquevillé, tu te perds dans tes songes, dans tes visions désagréables, ton crâne te fait mal tellement tu serres tes cheveux entre tes doigts. Tu as peur. Tu ne te rends pas bien compte de ce que tu viens de dire. Tu ne t’écoutes plus, tu n’entends plus rien. Tu as commencé à glisser tes mains sur tes oreilles pour camoufler le bruit de tes pensées, mais Anka a crié avant que tu n’en ais le temps. Tu relèves des yeux effrayés sur lui, peinant à voir les contours de son visage entre tes larmes. Il est difficile de revenir au moment présent après tout ça. De retrouver une partie de toi rationnelle et raisonnable.

Ton corps se met à trembler.
Tu es encore un enfant au fond.
Tu n’aimes pas qu’on crie sur toi.
Tu as peur …

Tout n’est qu’incompréhension entre vous. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas dites clairement, mais vous êtes tellement bornés que vous ne savez pas lequel des deux sera le plus honnête en premier. Lequel des deux se rendra compte de ses sentiments en premier. Il est évident que vous ressentez quelque chose de fort et d’indescriptible mais … Votre fierté ne vous permettra pas de vous l’avouer maintenant. Si la situation n’était pas si compliquée … Peut-être que vous auriez pu vous aimer.

Ses dernières interrogations te ramènent concrètement sur l’instant. C’est vrai. Il a raison. Tu veux vivre. Tu veux continuer de te battre même si tu ne sais pas pourquoi. Ces mots te font du bien, autant qu’ils ramènent une nouvelle vague de larmes. Tu baisses les yeux, ton corps tressautant toujours au rythme de ta crise de larmes. Tu regardes, malgré les perles d’eau salée qui brouillent ta vue, les cailloux sous tes pieds. Tu as promis de l’aider … Tu l’as promis.

Es-tu le genre de gars à faire des promesses en l’air ?
Non.
Tu ne veux pas leur ressembler …
Tu dois aller jusqu’au bout.
Même si tu perds la vie en cours de route ?
Oui. Mais Anka sera là.
Pour te protéger.
Pour veiller sur toi.
Pour t’aider malgré lui.

Il continue de te balancer ses sentiments à la figure. Tu ne peux pas le regarder, tu n’en es plus capable. Il mentionne le jour où vous vous êtes ouverts l’un à l’autre, et tu en rougis encore. Tous ces mots te touchent au plus profond de ton coeur, de ton âme, de ton être. Tout résonne en toi comme une douce mélodie, comme un baume qui vient apaiser les nombreux maux de ton corps et de ton esprit.

Des picotements te chatouillent le ventre.
Tu es ému.

Tu gardes ton visage vers le sol pour masquer un sourire entre tes larmes. Ton rire l’a marqué. La sensation de tes bras autour de lui le hante. Cette promesse faite avec sincérité, il y tient. Il ne veut pas que tu le détestes, il ne souhaite pas que tu le voies comme un monstre … L’as-tu considéré de cette façon depuis votre rapprochement ? Non. Au départ, ça avait été normal, et puis il t’avait sauvé la vie. Il avait exterminé ce parasite qui s’était collé à toi, il ne t’a pas laissé tomber un seul instant. Et même s’il passe son temps à râler sur toi … Il est plutôt évident qu’il ne te hait pas à ce point … N’est-ce pas ?

Ton coeur se serre, et tes tripes en sont retournées. Qu’est-ce que tu es en train de penser ? Qu’est-ce que ton corps essaie de te faire comprendre ? Tu ne veux pas te rendre compte de ça … Le simple fait qu’il soit à tes côtés te rassure, te fait sentir en sécurité. Tu es perdu. Mais uniquement parce que tu reste borné, et que tout deviendra plus compliqué si tu prends conscience que tu as un faible pour lui.

« Debout. »

Tu sursautes presque, et relèves les yeux sur lui. Son regard te transperce, sa posture est droite, comme figée dans le temps. Tes larmes continuent d’arpenter ton visage, mais avec moins d’intensité. Encore une fois, ses mots font mouche. Il est capable de te briser en mille morceaux avec seulement quelques mots. Tu ne sais pas si tu as le courage de te relever, de ramasser les éclats de Ken par terre, tu essaies tant bien que mal d’assimiler ses mots, de les comprendre, les digérer. Tu es touché. Encore et toujours. Tu n’es qu’une boule sensible à deux mille pourcents et c’est très difficile à gérer.

Anka.

Ses larmes continuent de rouler sur ses joues, tout comme les tiennes. Tu es attendri par cette main tendue. La seule fois où on avait fait ça pour toi, c’était pour te sortir de la rue, te faire retrouver une vie normale. C’était le début de ta recherche sur toi-même, le commencement de ta transition. Tu es enfin devenu qui tu as toujours été au fond, tu es maintenant un homme, de corps et d’esprit.

Tu te pinces légèrement la lèvre.

Le visage d’Anka est magnifique, malgré ces larmes qui le hantent. La couleur particulière de ses yeux te fascine, ils semblent briller alors qu’ils sont posés sur toi. Avec hésitation, mais le visage toujours relevé vers celui d’Anka, tu tends ta main vers la sienne, pour timidement la toucher et t’accrocher à elle. Il t’aide à te redresser. Il y a un contact visuel pendant plusieurs secondes sans que tu ne trouves quoi que ce soit à dire.

Tu as besoin de chaleur.
Tout ton corps est froid.
Tu as besoin de réconfort.
Tout ton esprit est brisé.
Tu as besoin d’Anka.
Ton coeur le réclame.

Tu essaies de rester concentré sur tes prochaines actions. Tes mains qui encerclent le visage d’Anka sans le toucher, continuant leur chemin jusqu’à ce que, finalement, tu laisses tes bras s’enrouler autour de son cou. Vos torses se touchent avec une douceur dont vous avez tous les deux besoin. Tu oses te coller totalement à lui, dans une étreinte remplie de tendresse et de fragilité. Son odeur sauvage envahit ton nez, alors que tu enfouies ton visage dans le creux de son cou. Tu voudrais lui dire plein de choses, tu aimerais parler, mais ta voix ne sort pas. À la place, un chuchotement qui ne sera audible que pour lui, camouflé par le son de la tempête.

« Je n’aime pas quand tu pleures … » Tu cherches, tu fais un effort, tu tentes de lui répondre. « Tu as l’air de penser que je te vois comme un monstre, que je te déteste. Mais, Anka … Tu penses que j’aurai pu promettre de t’aider si je ne supportais pas de te voir ? » Tes joues rougissent, et tu resserres ton étreinte contre lui, inconsciemment. « Je dois être un peu bizarre pour faire une promesse à quelqu’un qui veut me tuer, tu crois pas ? » Un silence s’installe. « Je veux t’aider, je sais même pas pourquoi. C’est comme ça. » Tu prends une inspiration, respirant son parfum naturel par la même occasion. Tes yeux fixent un point invisible sur sa peau. Tu es attiré par lui, et ça t’énerve. Un peu. « Tu es capable de beaucoup plus que tu ne le croies. Anka … » Tu pinces tes lèvres, alors que tu les approches doucement de son oreille. « Tu ne me détestes vraiment pas … ? »

Le visage enfouit dans le creux de son cou, tu ne peux pas voir les différentes expressions qui couvrent ses traits. Pourtant, tu essaies de les imaginer. Est-ce qu’il est gêné par cette embrassade ? Est-ce qu’il rougit comme lorsque tu es trop proche de lui ? Tu en saurais le dire, mais psychologiquement, ça te fait du bien de penser à des choses légères comme celles-ci. Tu lui murmures alors le fond de ta pensée, ta voix est brisée, elle n’a plus envie de sortir. Tu essaies aussi d’oublier ce que tu lui as confié, même si tu sais que tu n’en seras jamais capable.

Tu es un véritable phénomène à toi tout seul. Tu ne cesses de te contredire, ta raison ne semble pas en accord avec ton coeur. Tu ne peux t’empêcher de lui dire toutes ces choses, de les murmurer au creux de son oreille. Tu deviens également celui qui réconforte, qui veut qu’il se rende compte de son potentiel malgré sa piètre estime de lui. Il peut bien se vanter de pouvoir t’écraser comme et quand il le souhaite, mais le fera-t-il ? En sera-t-il seulement capable ?

Aujourd’hui, tu doutes qu’il puisse prendre ta vie.
Même s’il en était contraint, il aurait des difficultés.
Tu en es certain.

Tu l’entends inspirer, et finalement te répondre. Une pincée de timidité dans sa voix, une grosse dose d’honnêteté à prendre en compte … Il obtient un sourire discret de ta part. Alors il ne te déteste pas … Tu te sens soulagé par cette simple révélation. Bien que tu t’en doutais un petit peu, l’entendre de sa bouche, de manière si maladroite et sincère, ça te touche. Les émotions sont si fortes lorsque tu es avec Anka. Tu n’arrives pas à comprendre pourquoi.

Pourquoi tu lui as dit tout ça …

Tu coinces ta lèvre inférieure entre tes dents, réfléchissant à tout ce qui vient de se passer. Tu as l’impression de n’entendre l’orage qu’en fond sonore, comme le grésillement d’une vieille radio. Tu n’y prêtes plus attention, c’est comme si la présence d’Anka suffisait à tout effacer. Son contact physique est agréable, même si tu commences à trembler. Ton corps frissonne, le froid te provoque des décharges violentes par moment. Pour cette raison en plus d’autres cachées, tu ne te décolleras pas de ton compagnon.

Son ton condescendant, cette remarque te donne envie de le mordre. Pour le punir en quelque sorte de toujours vouloir dénigrer ton odeur, ta vie ancestrale … Tu n’y peux rien. Une moue déforme tes traits, ton visage n’a cependant pas bougé du cou d’Anka. Tu n’as plus la force. En vérité, sans lui, tu ne pourrais pas tenir debout, alors autant rester comme ça pour le moment.

Tu te mets à penser à ta vie. Celle que tu avais avant de tomber dans ce puits. Que ferais-tu aujourd’hui, à ce moment précis, à Tokyo ? Tu ne sais pas. Tu serais probablement sur le chemin pour travailler, ou peut-être que tu aurais fait une sortie avec ta cousine. Peut-être que tu serais en train de manger quelque chose, ou que tu aurais décidé de faire une partie de basket. Ou bien un footing. Tu n’en as aucune idée pour être honnête. Tu n’imagines plus ta vie redevenir celle d’un Tokyoïte ordinaire.

Tout a changé.
Tu as changé.
Ce monde te rend différent.
Chaque jour qui passe.
Chaque seconde auprès d’Anka.

Ce dernier te ramène à l’instant présent. Tu le sens se blottir contre toi, comme s’il se détendait, comme s’il se laissait un petit moment pour s’écouter, pour souffler, pour s’exprimer. Tu voulais que ce moment de simplicité absolue ne s’arrête jamais, parce que cela te faisait un bien fou.

Tu le sens de nouveau se tendre, et tu appréhendes le fait qu’il te repousse. Qu’il ne te laisse plus être près de lui. Cependant, ça n’arrive pas. Il te pose une question inattendue. Ta respiration se coupe presque sous l’effet de la surprise, alors que ton cerveau cesse ses activités habituelles.

Vient-il de …
Te demander si …

Tu n’arrives même pas à répéter sa question dans ta tête, tant cela sonne comme une illusion. Anka qui se préoccupe sincèrement de toi, qui se permet de l’afficher. C’est complètement inédit. Ton cœur se serre, puis bat la chamade, puis semble s’arrêter. Il se joue de toi, il ne sait pas comment réagir, tout comme ton esprit qui est confus. Tu pinces tes lèvres, te décalant légèrement de son cou pour venir plonger ton regard dans le sien.

Vos visages épuisés par les larmes.
Vos yeux marqués par les émotions.

Tu baisses les yeux, incapable de soutenir son regard, pinçant toujours nerveusement ta lippe. Tu arrives à défaire l’un de tes bras, tes doigts glissant sur la peau d’Anka, jusqu’à trouver le chemin de sa main. Ce côté de lui qui produit de la chaleur, tu voudrais qu’il absorbe complètement son être, pour qu’il soit plus doux. Plus souvent.

Tu prends doucement sa main dans la tienne, pour la diriger lentement dans ton dos. Tu oses lui jeter un petit regard timide, avant de racler ta gorge. « Parfois les gestes font autant de bien que les mots … Si tu ne me détestes pas tant que ça, aide-moi à tenir debout. » Tu n’irais pas jusqu’à lui demander de te prendre dans ses bras, mais tu viens de le faire de manière détournée. Tu caches difficilement un sourire avant de te remettre contre lui et fermer les yeux.

Plus apaisé qu’auparavant.

C’est une sensation étrange, que d’avoir sa main qui se joint à la tienne. Tes doigts qui attrapent ses doigts lentement, pour ne pas le brusquer. Doucement, parce que tu n’as plus beaucoup de force. Tu parais bien fragile ainsi, tu es trop épuisé pour oser le défier, ou lui balancer ta fierté à la figure. Non, tu veux que ce moment entre vous se prolonge.

Tu veux garder Anka près de toi.

Tu n’es pas capable de soutenir son regard, parce qu’il y aurait des choses à lire à l’intérieur des tiens. Tu ne veux pas. Tu as encore ce caractère de cochon qui te suit, cette forme de fierté qui fait de toi un homme. Bien qu’on ne t’ait pas toujours considéré comme tel. C’est … Difficile pour toi de penser à cette époque-là et pourtant, avec tout ce que tu venais de lui déballer, tu te gardais bien de parler de ta transition.

Du pourquoi tes parents te frappaient.
Pourquoi ils te criaient dessus à la moindre occasion.
Pourquoi le bruit des coups est aujourd’hui similaire à la foudre qui s’abat.

Tu te perds une nouvelle fois dans le son de sa respiration, jusqu’à ce qu’il te soulève. Sans peine. Tu émets un hoquet de surprise. Tu le regardes, interdit. Tu fronces les sourcils, tu sembles retrouver des couleurs sur ton visage. Tu te débats.

« Non mais j’suis pas une princesse ! Oui je ne suis qu’un humain fragile et blablabla, lâches-moi si c’est pour être désagréable … ! »

Tu prends une mine clairement boudeuse. Comme un enfant capricieux. Tu poses tes mains à plat sur son torse et essaies de le pousser, mais renonces bien vite. Sa peau nue sous tes doigts te fait rougir jusqu’aux oreilles et tu tournes la tête vers l’extérieur. Pour ne pas qu’il voit ça. Qu’il ne remarque pas cet état.

Tu n’es pas une adolescente, bon sang !
Pourquoi tu réagis comme ça ?!

Tu essaies de reprendre le contrôle de ton rythme cardiaque. Mais il semblerait que depuis l’arrivée dans cette grotte, les sensations sont décuplées. Depuis que cette pluie vous tient prisonniers dans cet antre sombre et froide, vos sentiments évoluent.

Oui, tu le sens.

Parce que même si ces paroles sont obtus, ses gestes n’ont rien d’agressifs. Au contraire, tu as l’impression qu’il fait attention à ne pas te blesser. Tu te sens ridicule ainsi, contre lui, alors qu’il te porte avec autant de facilité. Aucun effort n’est visible, tu es sans doute une feuille de papier pour lui.

Tu as encore un long chemin à parcourir,
avant d’être à son niveau.

Tu espères un jour valoir au moins autant que lui. Tu prends conscience que la force d’un Yôkai est vraiment supérieure à celle d’un humain lambda. C’est aussi fascinant qu’effrayant. Tu te pinces la lèvre et oses lui jeter un regard de biais.

Tes mots ne sont qu’une sorte de bafouillement presque incompréhensible.

« Jeveuxrestericiavectoi … Il fait un peu froid, et tu as un pouvoir utile alors … »

Un frisson te parcourt, levant tous les poils de ton corps. Entendre la pluie tomber a quelque chose de doux. Comme si n’importe quelle parole pouvait être camouflée, comme si votre situation, toutes ces confessions balancées sur le coup de l’émotion resteraient ici, dans cette grotte. Entre Anka et toi. Tu fermes les yeux et te décides finalement à entourer le cou de ce foutu dragon de tes deux bras. Tu le serres contre toi, tellement fort que si tu étais un Yôkai, tu pourrais sûrement le briser.

« Merci Anka. »

Le rouge aux joues, tu as malgré tout un léger sourire qui flotte sur tes lèvres.