Designed Desire [ Ft. Sasori ]

Mino est si calme ces derniers temps. Rien ne t’amuse. Aucun sourire ne vient casser cet air austère qui plane sur ton visage. Tu es assis sur ton trône, dans ta Province de domicile, dans une position nonchalante qui inspire à tous tes serviteurs l’ennui qui te guette depuis quelques temps. Que faire ? Tes petits humains racontent bien souvent des rumeurs intéressantes, mais cela fait quelques semaines que rien de croustillant te donne envie de bouger ton fessier musclé. Tu soupires, si fort, si bruyamment que tout le monde t’entend, retient sa respiration et attend que tu dises quelque chose.

Des mots qui ne viennent pas.

C’est après un long silence inquiétant qu’une petite voix vient allumer cette petite flamme dans le regard du Grand Sasori. Un humain de Mino qui revient de la Province d’Izumo te raconte alors avec une politesse exagérée qui te fait sentir puissant et respecté, qu’une Sorcière à la Beauté Extraordinaire habite sur l’île au milieu du lac Shinji. Un haussement de sourcil lui répond, tu réfléchis. Si elle est si belle que ça, pourquoi n’en profite-t-elle pas pour découvrir le monde, s’enrichir et escroquer les fous qui tomberont à ses pieds ? En un claquement de doigt, tu récompenses la petite fourmis informatrice de quelques pièces d’or avant de, finalement, te lever pour sortir de ton immense demeure.

Cela fait déjà quelques jours que tu voyages seul. En général, ton Précieux Kiseki te suit pour des aventures entre frères, mais il arrive aussi que vous ne soyez pas toujours collés comme des siamois. C’est le cas aujourd’hui. De toute façon, s’il lui arrivait quoi que ce soit, tu déboulerais à la vitesse de la lumière. Tu le sentirais. Vous êtes maudits, après tout. Un soupir s’échappe en constatant que le chemin est long avant d’atteindre Izumo. C’est d’ailleurs une destination que vous aviez déjà tenté avec ton frère, sans pour autant parvenir à découvrir les vérités sur les légendes qui s’y cachent. Le fameux Oni que vous n’aviez pas réussi à rencontrer. C’est dommage, mais votre père avait souhaité vous rencontrer, votre voyage avait donc été écourté.

Sans grandes difficultés malgré un voyage plutôt long, tu arrives à Izumo. Après avoir explosé quelques petits Yôkai sur ta route, ainsi que quelques humains. Après tout, tu devais bien te nourrir. Tu avais veillé à rester discret cependant, tu ne voulais surtout pas effrayé les gens d’Izumo. Pourquoi ? Tout simplement parce que tu avais des questions à poser, et tu ferais cela sous une apparence humaine se rapprochant de Kiseki. Tu es capable de faire disparaître tous tes tatouages, tes canines pointues, tes ongles noires et aiguisés … Tout ce qui faisait de toi un Yôkai d’apparence en somme.

Comme un humain, tu t’es mis à poser des questions. Ta patience n’étant pas ta tasse de thé, tu t’es vite énervé lorsque personne n’a voulu t’emmener sur cette île. On te fait comprendre qu’il faut que tu te débrouilles, que tu trouves toi-même une chaloupe pour traverser. Si ces êtres fragiles ne veulent pas t’emmener, alors tu irais seul, ce n’est absolument pas un problème pour toi. Après tout, tu as le goût de l’aventure, tu aimes voyager, et tout ce qui peut t’occuper plus de cinq minutes.

« Non, n’y allez pas ! Vous ne reviendrez jamais ! »
Un sourire étire tes lèvres. Tes pieds sur la barque en bois, prêt à commencer à ramer pour atteindre la première rive de l’île, un garçon d’environ douze ans vient à ta rencontre en criant, t’avertissant du danger.
« Qu’est-ce que tu en sais ? »
Il se mord la lèvre, et fronce les sourcils, contrarié.
« Mon père y est allé, et … Il n’est jamais revenu. Il était curieux, il voulait juste savoir si les rumeurs disaient vraies mais … »
Il commence à pleurnicher, ce qui te met mal à l’aise. Tu avance ton bras vers lui et tapote sa tête.
« Un humain ne peut peut-être pas revenir, mais moi, si. »
Il redresse la tête et te regarde d’un air curieux.
« Vous êtes … »
Tu poses un doigt sur ta bouche pour lui intimer de se taire et lui adresse un clin d’œil.
« Gardes ce secret pour moi, et j’essaie de retrouver ton père. Ça te va ? »
Il acquiesce vivement, des étoiles dans les yeux. Tu ne sais pas trop si c’est parce que tu es un Yôkai et que tu es le premier qu’il rencontre ; s’il est content d’avoir un secret avec un inconnu ; ou s’il espère que son père soit vivant d’une manière ou d’une autre.

Bien sûr, tu ne fais pas ça par gentillesse. Tes intentions sont toujours sombres derrière tes sourires étincelants. Ce sont d’ailleurs les pires.

Tu as perdu assez de temps, il est l’heure d’aller rencontrer cette fameuse Sorcière. Après tout, en avoir une à ses côtés peut toujours être utile. Sans penser à reprendre ton apparence semi démoniaque, tu restes dans cette forme absolument basique et complètement humaine. Ta force monstrueuse te permet d’avancer vite, de rapidement voir la berge, et d’y accoster sans grandes difficultés. Tu poses alors un pied sur la terre humide, et laisses ton regard se balader sur les environs. C’est très … Fleuri. C’est le moins qu’on puisse dire.

Tu ressens une puissante énergie spirituelle à mesure que tu avances. Quelque chose qui te met mal à l’aise, autant que ça t’excite. Toutes ces couleurs t’aveuglent presque. C’en est trop. Qui peut vivre dans un endroit pareil ? C’est beaucoup trop paradisiaque. Très peu pour toi. Tu préfères largement la vue d’un champs de bataille, de milliers de corps découpés et en bouillis, avec du sang absolument partout. Tu as envie de tout brûler. Est-ce que cette fameuse Sorcière se montrera si tu commences à détruire son habitat ?

Ton regard se tourne vers les pas qui approchent, tu t’arrêtes, attendant avec une certaine impatience de voir cette beauté extraordinaire dont on t’a parlé. Sa silhouette se dessine dans l’ombre du soleil, colorée par les centaines de fleurs. Tu la fixes, sans rien dire, sans esquisser le moindre geste. Pour ce qui est de la beauté, les rumeurs étaient fondées. Tu penses même que le mot est bien léger. Ce qui te plaît beaucoup moins, c’est cette énergie spirituelle qui se dégage d’elle. Une énergie que tu as déjà senti et qui est désagréable à supporter pour un Yôkai. C’est un conflit d’intérêt entre ton sang démoniaque et « elle ».

Pourtant, l’odeur de la mort s’échappe de partout.
De cette femme.
De la terre retournée.
De l’air chargé d’arômes.

Qui est-elle ?

Tu poursuis ton observation sur cette femme. Il est rare que tu restes sans rien faire, sans balancer des paroles arrogantes à la figure des gens, mais tu ne sais pas trop comment l’appréhender. Qui est-elle ? Pourquoi vit-elle ici ? Il est impossible qu’elle soit une Yôkai. Tu peux sentir d’ici son pouvoir spirituel, mais comment la mort peut-elle sentir autant à travers ces champs de fleurs ? À travers les vêtements et la peau de cette humaine ? Tu es certain de ne jamais retrouver le père de ce gosse, quel dommage, tu aurais pu passer pour un héros à ses yeux … Cela aurait été bien pratique.

Elle te jauge, t’observe, te fixe, te détaille. A-t-elle déjà vu un homme tel que toi ? Tu en doutes. Tu es unique en ton genre après tout. Tu es Sasori, un Ryomen Sukuna digne de ce nom. Alors que tu es trop calme, elle s’avance enfin vers toi et te souhaite la bienvenue. Comme une habitude. Comme un disque rayé. Accompagné d’un fin sourire. Elle semble sincère, mais tu ne sais pas sur quel pied danser. Cependant, tu es curieux. Oui, tu aimerais bien qu’elle réponde à toutes tes questions.

Tu te souviens alors que ton apparence est entièrement humaine. En ce moment-même, tu dois ressembler à Kiseki, et cela te fait légèrement sourire. Tu adresses ce charmant rictus à cette femme, bien qu’il ne lui soit pas réellement destiné. « Votre accueil me comble. » Toujours cette pointe de sarcasme dans la voix, bien qu’il s’agisse de ta manière habituelle de parler. Tu espères aussi accomplir ce pourquoi tu as foulé les terres étranges de cette île. Elle ne se doute sûrement pas qu’elle est justement le sujet de ton déplacement.

Maintenant que tu la vois de plus près, ses traits sont doux, et tu ne lis aucune mauvaise intention. Tu sais ô comment les gens sont fourbes quand ils le veulent, mais quelque chose ne tourne pas rond. Tu ressens un paradoxe énorme autour de cette humaine, et cela te rend encore plus curieux de la connaître un peu plus. Tu ne te gênes pas pour l’observer, lui jeter des regards insistants, c’est ta manière de faire, tu ne connais pas vraiment la délicatesse.

« Avec joie. » Elle allait sûrement te proposer du thé, et bien que tu n’en sois pas friand, tu ne ferais pas le difficile. Tu aimerais autant une boisson fraîche, mais en soi, tu n’es pas venu pour son hospitalité. Pour le moment, tu joues le jeu, tu essaies tant bien que mal de rester calme et gentil. « Savez-vous ce qui se dit de vous, de l’autre côté du lac ? »

Un léger sourire s’installe sur tes lèvres.
Tu ne peux vraiment pas jouer la carte de la patience.

Lorsque tu acceptes sa proposition, elle se met à rire. Tu ne peux t’empêcher de laisser un sourcil se rehausser sur ton front. Qu’est-ce qui lui prend ? Est-ce qu’elle est folle ? Après tout, ce ne serait pas si étonnant, vu qu’elle vit entourée de fleurs, seule, avec l’odeur des cadavres remontant de la terre humide. Tu n’as le temps de répliquer qu’une main vient attraper la sienne pour t’entraîner sur un chemin, lequel semble t’accueillir les bras ouverts, la sensation que les plantes elles-mêmes se poussent sur votre passage te laisse perplexe. Pas autant que cette petite main dans la tienne. Tu as l’habitude de celle de Kiseki, de celle d’Akane parfois mais pas pour de la tendresse, alors une douceur pareille te rend étrange. Cette main si petite, si fragile. Tu pourrais la briser en serrant un peu trop fort.

Tu n’es pas friand des silences, tu t’ennuies bien vite. Alors tu fais fi de ce contact, bien que tu détestes ça en temps normal, et tu lui poses la fameuse question. La patience n’étant pas ton fort, tu ne peux t’en empêcher. Elle semble avoir conscience de ce qui se dit, mais elle le dit de façon si poétique et douce que tout paraît lui passer au-dessus. Comme si ce qu’on disait d’elle au-delà de ce lac n’était en fait que des louanges. Ce qui n’est pas le cas. « On dit que vous êtes une Sorcière horrible, et que vous tuez tout ceux qui débarquent ici. » Il y a une part de vraie ; une partie exagérée. Tu dis ça avec détachement, tu t’en fiches de ce qu’on dit, tu es juste curieux. Oui simplement curieux.

« Si je comprends bien, vous n’avez jamais traversé le lac pour rencontrer tous ces hu- gens ? » Tu as failli dire « humain », elle aurait peut-être compris ta véritable nature. Ou peut-être que tu la mets déjà sur des pistes. Tu n’en sais rien. Au pire, tu ne crains pas grand-chose d’une Kuro Miko. « Fascinant. Je pense que les mythes autour de votre personne peuvent l’être jusqu’à une certaine limite. Ce qui m’a fait venir ici, c’est la rumeur qui court que vous êtes la plus belle Créature qui existe en ce monde. » Tu as toujours ce sourire sarcastique collé au visage, tu provoques des réactions, c’est dans ta nature, tu n’y peux rien. C’est ainsi. Et depuis trop longtemps.

Tu la laisses te conduire jusqu’à une sorte de sanctuaire aménagée de sorte à pouvoir vivre à l’intérieur. Elle fait une prière à tu ne sais qui et tu n’iras pas poser la question. Pour le moment, ce n’est pas ce qui t’intéresse. L’endroit est plus que modeste, tu jauges un peu avant de mettre un pied à l’intérieur lorsqu’elle t’invite. Cependant, toi, habitué à ton véritable palais, te sens un peu à l’étroit. Tu préfères encore rester au bord, prenant tes aises à t’asseoir sur le bord de la bâtisse. Moitié dedans, moitié dehors (dans cette position). Tu arrives à capter dans un coin, des choses inachevées, sûrement ses passe-temps. Au moins, elle ne reste pas à rien faire de ses journées. Elle a trouvé de quoi rester saine d’esprit.

Elle est polie, te demande si tu veux quelque chose en particulier. Elle te propose autre chose que du thé, et tu as presque envie de soupirer de soulagement. Un sourire un peu moins inquiétant traverse ton visage quand tes yeux se posent sur du saké. Vraiment ? Elle ne se refuse rien cette petite. « Je vais me contenter de fruits. » Tu ne dis rien de plus, portant ton regard sur l’extérieur. L’ambiance y est étrange. Autant cela ressemble à un bout de terre paradisiaque, autant l’odeur qui en sort est affreuse. Tu lui jettes un regard en coin alors qu’elle est occupée à te préparer quelque chose. Que cache-t-elle ? Elle se nourrit des hommes venus la rencontrer en échange de cette beauté ? De la jeunesse ? « Alors que pensez-vous de cette rumeur sur votre beauté ? À mon humble avis, les ragots sont trop petits pour exprimer réellement ce que je vois en ce moment. »

Tu es sincère. Ton sourire a disparu. Tu la regardes intensément, détaillant un peu plus les traits doux de son visage. Une Sorcière, ça oui, pour que tu la trouves si belle. Elle doit sûrement ensorceler n’importe qui franchit les rives du lac.

Elle considère donc cette île comme son monde, son univers, son petit bout de terre tranquille. « Si le monde était si minuscule, cela ferait longtemps que je serai mort d’ennui. » Cela t’a échappé juste après ses mots. Le danger fait partie intégrante de ta vie, tout comme le bruit, les batailles, le sang … Tout ce que tu aimes semble être le parfait opposé de cette femme. Est-ce qu’elle tue les nouveaux arrivants pour garder cette paix ? Ou est-ce qu’elle fait payer à tous ces humains le prix d’une souffrance passée? Tu trouves ça triste en un sens qu’elle considère le vaste monde comme un souvenir désagréable. Peu importe ce qu’elle a vécu, il faut avancer, et se faire sa propre idée. Voir de nouvelles choses. Découvrir de nouvelles têtes. Pour oublier le passé. Ou du moins, tenter de vivre avec.

Tu penses à « lui ».
Ton esprit vagabonde quelques secondes ailleurs, loin de cette île, loin de cette femme, loin de l’odeur de fleurs qui commence à te taper sur le système.
Lui aussi, te laissait cette sensation de pouvoir le briser au moindre geste brusque.
Sa main aussi était petite, avec cette chaleur humaine bienveillante.

Les minutes passent, tu ne laisses pas le silence s’installer, tu n’aimes pas ça. La conversation est facile, ce qui est plutôt étonnant avec toi. Tu n’es pas friand des discussions superficielles en temps normal. Certes, c’est là un sujet qui t’intéresse parce que tu as quand même fait tout le voyage depuis Mino pour la rencontrer, mais si tu réfléchis bien, le climat des mots est calme et serein. Bien loin de ta véritable personnalité, il faut tout de même le souligner.

Elle prend place à tes côtés, te tendant avec grâce le verre qu’elle t’offre. Tu le prends avec un léger signe de tête en guise de remerciement et porte ton nez à ce qu’elle t’a préparé. Une odeur sucrée de cerise te parvient. Tu restes méfiant, en te demandant une seconde si quelque chose n’avait pas été ajouté dedans pour te faire du mal. Au pire, tu es certain de pouvoir t’en remettre. Personne n’est suffisamment puissant pour te vaincre après tout.

Cet égo surdimensionné aura ta peau un jour.
Peut-être.

Après ses longues paroles, tu affiches un nouveau sourire. « J’entends à demi mot que vous êtes consciente de cette beauté que vous possédez. Sachez que je ne suis pas n’importe quel homme, à faire des compliments à une femme pour la charmer. Cependant, je pense que tout joyau brut doit être taillé afin d’avoir une véritable valeur. » C’est ce qu’elle est, un joyau brut trop pur, trop innocent. Son apparence n’est peut-être qu’un leurre pour attirer des personnes naïves, et beaucoup de questions restent en suspens dans ton esprit, mais elle reste tout de même une coquille vide. Tu laisses ton regard dévier vers le ciel d’un bleu d’été, et décides enfin de boire une gorgée de la boisson préparée avec soins.

C’est sucré.
Pas ce que tu préfères.
Mais elle se débrouille en matière de rafraîchissement.
Hm. C’est pas mauvais en fait.

Sirotant la boisson assez rapidement, tu reviens sur le moment présent lorsqu’elle parle à nouveau. Avec un ton enjoué, amusé. Avec une mine curieuse, un haussement de sourcil, tu la fixes et l’écoutes avec une certaine attention. Emi. Un prénom contrastant avec tous les surnoms péjoratifs qu’on lui donne. Un prénom qui va à ravir avec son apparence, sa délicatesse, sa grâce.

En plusieurs décennies d’existence, de massacres, de folies, tu oses espérer qu’elle n’a jamais entendu parlé de toi. Étrangement, tu hésites quelques secondes à lui dévoiler ton prénom. Rien que ton prénom pourrait être révélateur. Cependant, tu doutes qu’elle entende beaucoup de choses qui touchent des Provinces si lointaines de la sienne. Tu poses alors le verre vide derrière toi, histoire de ne pas le broyer par inadvertance. Un léger sourire inquiétant, à nouveau, revient sur tes lèvres. « Si votre prénom vous va à ravir, je vous laisse interpréter le mien comme vous le souhaitez. Je m’appelle Sasori. »

Oui, un prénom qui en dit assez long sur toi.

Sasori. C’est un prénom que tu portes avec fierté. Il contraste avec violence avec le prénom rempli d’espoir de ton frère, et pourtant, tu sais que Kiseki en tant que nomination pour ta personne extravagante, arrogante et cruelle, ne t’aurait pas correspondu. De plus, même si ta génitrice avait contribué au don de ce prénom, tu aimes la sonorité de ce dernier, et de l’effet qui va avec. Après tout, tu avais piqué avec force cette Yôkai pour qu’elle ne nuise plus jamais. Aujourd’hui, elle ne vivait plus que dans ton arme, servant en partie à protéger les humains qu’elle détestait tant de son vivant. À ce souvenir, un sourire satisfait s’installe sur ton visage.

La femme à tes côtés t’adresse un sourire pour le moins curieux. Tu n’es pas doué pour deviner les pensées des autres individus, tu aimes les mots directs, et ne pas perdre de temps à jouer aux devinettes. Alors que cette conversation simple mais remplie de mystères s’étale, tu t’étonnes à te plaire dans ce genre d’échanges basiques. Tu nourris tant bien que mal ta curiosité ; au moins, la rumeur sur sa beauté était fondée, bien que loin de la réalité. Tu te félicites d’être venu en personne.

Elle est bien aimable de te donner sa vision de ton prénom, tu l’écoutes avec attention, le regard rivé sur ses fleurs maudites. Tu es bien loin de te douter que ce mot est justement ce qui habite ces plantes de couleur. « Sans vouloir débattre là-dessus, j’en viens à penser que les deux vont de paire. On nous donne un prénom, avec l’attente que cela devienne une partie de notre personnalité. Malgré tout, les événements de notre vie mènent à marquer au fer rouge cette identité sur nous. » Il est rare que tu prennes le temps de réfléchir et exprimer tes pensées de cette manière. Tu restes un Yôkai qui fonce dans le tas, qui se fout du reste et qui ne regarde que lui, à quelques exceptions près.

Cette femme a un drôle d’effet sur toi.

« La boisson était rafraîchissante. » Peu habitué à dire merci, il ne te vient même pas à l’esprit de le dire à haute voix. Elle commence à débarrasser les verres, pour aller les laver, continuant la conversation, comme si elle ne voulait pas que tu partes maintenant. Comme si ta compagnie lui plaisait. Est-ce le cas ? « Ma curiosité est loin d’être contentée. Mais les prochaines questions risquent d’être beaucoup moins agréables. » Ta voix est descendue dans les graves, comme pour l’avertir, la prévenir. Tu continues de fixer les fleurs, de sentir cette odeur de cadavres qui remonte jusqu’à ton nez. L’humidité du sol causée par le lac et la chaleur du soleil d’été font un mélange particulier sur cette île.

Elle revient à tes côtés. Ta tête à demi penchée en arrière, ton regard sur elle, tu lui adresses un sourire un peu taquin. « Si votre curiosité est aussi poussée que la mienne, vous devez vous sentir prête pour les prochains sujets. » Si son énergie spirituelle est si forte, alors peut-être qu’elle ne la contrôle pas. Cela expliquerait pourquoi tu peux sentir, absolument partout, des résidus spirituels dans les fleurs, et la terre. Entre autres.

C’est partout à la fois. Difficile de te sentir complètement à l’aise sur cette île.

« Quand bien même vous ne seriez pas prête, je ne pourrai partir de cette île avant d’avoir eu quelques réponses. »

Tout ce qu’elle te dit te pousse à croire qu’elle a tué des personnes de son plein gré. Et bien qu’elle t’intéresse depuis que ton arrivée sur cette île, là, elle pique encore plus ton intérêt et ta curiosité. En effet, le chaos est quelque chose que tu aimes créer. Tu aimes que les gens parlent de toi sur ton passage, qu’ils chuchotent, qu’ils te craignent autant qu’ils te respectent. Comme tes petites fourmis de Mino, et moins souvent celles de Hida. Ces deux provinces qui semblent être des contrées à part du Japon, des petit bout de Paradis que les Yôkai fuient. Tu en as tellement détruit, tu as anéanti tellement de créatures sur ton chemin, que plus personne n’ose t’affronter, ou te prendre tes humains.

Alors si elle a tué ces visiteurs, elle pourrait bien être comme toi.
Bien qu’un niveau comme le tien ne pourrait être atteint pour une humaine comme elle.

« J’attise votre curiosité ? Vous m’en voyez flatté. » Dis-tu avec un sourire provocateur et entendu. « Je promets de vous répondre avec le plus de sincérité possible, si vous en faites de même. Votre pureté semble presque trop aveuglante pour ne rien cacher. » Toi, et ta délicatesse.

Tu la laisses revenir, prendre place à tes côtés et poser sa main sur la tienne. Tu n’oses pas la regarder, son geste te paraît si naturel que tu as décidé de ne pas y faire attention. Bien que tu ne sois pas habitué ou à l’aise avec les contacts physiques comme ceux-là, aujourd’hui, ça ne te dérange pas plus que cela. Pourquoi ? Tu te poses intérieurement la question. « Tel que je le perçois, votre personnalité rayonne. » Tes yeux se portent sur le ciel, avec un air rêveur sur les traits de ton visage, laissant alors les paroles franchir tes lèvres sans aucune barrière. « Comme le soleil. »

Tu gardes un silence quelques secondes, avant de lui jeter un regard de biais. « Mais si on s’approche trop du soleil, on brûle, n’est-ce pas ? Avec vous, c’est une situation similaire. Si on vous approche trop, on connaît la mort. »

Tu te retourne alors complètement vers elle, l’expression de ton visage reprend doucement sa folie habituelle. Tu saisis cette main qu’elle avait posé sur ta peau, tu peines à retenir cette apparence humaine, tes ongles noirs s’allongent alors, ou tes crocs pointus viennent habiller ta dentition. Tu t’en fiches à présent. « Ma première question sera : quel plaisir ressentez-vous à tuer tous ces gens ? » Bien que ta poigne se fasse ressentir, tu ne lui fais aucun mal en retenant sa petite main entre tes doigts puissants.

Tu ne veux pas l’abîmer. Si jamais elle est cette Sorcière qui tue pour le plaisir, alors tu en voudras à tes côtés. Autant ne pas l’effrayer tout de suite si jamais tu te trompes.

L’expression de son visage change du tout au tout. Ce que tu y vois est de la surprise pure et dure. Tu tiens sa main d’une poigne de fer tout en prenant garde à ne pas la casser. Tu sens que tu pourrais aisément la briser. Les humains sont si fragiles … Si éphémères. Tu ne veux pas la voir mourir. Pas aussi vite. Pas avant d’avoir autant de questions en tête. Alors tu te délectes de ses traits, de sa beauté légèrement déformée par l’étonnement.

Tu parviens à voir un peu de tristesse dans le fond de son regard. Tu n’arrives pas à comprendre d’où elle sort. Finalement, tu t’es sûrement trompé en avançant qu’elle prenait du plaisir en tuant des gens. Tu as peut-être un peu de regrets, mais surtout du fait qu’elle n’est pas du tout comme toi. Elle ne te quitte pas du regard, elle ne rompt pas l’échange de vos mains non plus, elle semble réfléchir. Tu te demandes bien à quoi.

Plus les secondes défilent, plus son énergie s’agrandit. Elle est comme un puits qui déborde à la moindre averse. Tout s’intensifie, ses émotions, son pouvoir, la présence de petites créatures qu’elle a sûrement créées. Tu jettes un furtif coup d’oeil sur les alentours avant de revenir te plonger dans son regard violacé. Tu ne te démontes pas pour autant, mais il devient difficile de garder cette apparence totalement humaine. Doucement mais sûrement, ta troisième et quatrième paupières fermées apparaissent sous tes yeux principaux, avant que tes épaisses lignes noires ne courent sur ta peau pour reprendre leur place initiale.

Toute cette énergie négative qu’elle dégage …
C’en est grisant.

« Regardez autour de vous ma chère. Votre énergie est si instable qu’elle tuerait probablement n’importe qui. Qu’il en résulte de votre désir ou non, ces cadavres enterrés sont de votre fait. » Elle nourrit les fleurs de chaire en décomposition, cette île a véritablement quelque chose de morbide. Il est même étonnant qu’aucun démon ne soit né de tout ce qu’il s’y passe. Tu peux voir la mine qu’elle arbore, celle-ci même qui te fait doucement sourire, tant cela contraste avec votre conversation.

Elle est belle et bien innocente.
Et pure.

Sans te rendre compte que ton masque humain disparaissait au fil de la discussion, tu te surprends à regarder vos mains, ce doigt tapotant l’un de tes ongles naturellement noirs. Une expression significative de « je suis grillé » prend place sur ton visage, remontant ton regard dans le sien, qui ne semble pas vouloir se détourner de toi non plus.

« Voulez-vous savoir si je suis humain ou ce que je suis ? »

Un petit sourire taquin prend place sur tes lèvres, sans pour autant couper le contact physique qui s’opère en contre-bas.