Designed Desire [ Ft. Sasori ]

Depuis ton arrivée, tu sens la mort planer sur cette île. Tu avais eu bien des avis sur cette jeune humaine depuis que tu l’avais vue. Elle ne ressemble en rien à ce que tu as entendu ; elle est beaucoup plus belle que ce qu’on t’a dit, que ce que tu avais même imaginé. Elle n’avait rien d’une Sorcière tueuse, et si un instant, tu as pensé qu’elle pouvait cacher la beauté du crime sous un masque de pureté, tu es maintenant certain qu’elle ne le fait pas exprès. Il est difficile d’avoir des réactions aussi spontanées et naturelles en même temps. Même pour toi qui mens comme tu respires, qui n’hésites pas à enfiler un autre visage pour tromper tes vis-à-vis.

Elle se fige à la seconde où tu lui dis qu’elle est la coupable de tous ces morts. De cette odeur infâme de chaire en décomposition. De tous ces innocents gisants ici, loin de leur proche. Et tu te mets à penser à ce gosse que tu as croisé avant de ramer jusqu’ici ; il avais attendu son père. Maintenant, il t’attend, toi. Il souhaite des nouvelles de l’autre côté du lac, il veut savoir ce qu’il s’y passe, et comment tous ces gens ont perdu la vie. Tu n’es pas sûr d’avoir envie de lui révéler la raison.

Vu sa réaction à elle.

Elle semble perdue quelque part dans ses réflexions, ce qui te permet de la regarder, de la fixer, d’apprécier son visage si près du tien. Il n’y a pas une grande distance, tu peux donc aisément la détailler. Tu portes tes yeux un peu moins taquins, un peu moins joueurs, sur cette main qui se resserre sur la tienne. Tu la laisses faire, un petit haussement de sourcil apparaît sur ton front. Souffre-t-elle de cette énergie trop forte ? De ce pouvoir qu’elle ne sait pas contrôler ? A-t-elle peur d’elle-même ?

Son visage se déforme par la frustration, par le choc de tes révélations, et certainement de ses pensées qui confirment ce que tu lui as dit. Et elle finit par te parler d’une voix incertaine, peu confiante, restabilisée. Tu te contentes de lui sourire. Un rictus à demi moqueur, à demi satisfait. Un soupir s’échappe et une nouvelle confession apparaît. « Alors vous assumez être cette Sorcière dont on parle. Vous me dites que leur mort est méritée ? Ce n’est pas moi qui vais vous contredire. Mais est-ce le seul moyen pour vous de tuer l’ennui et la solitude ? »

Tu la sens se détendre malgré tout. Le son de ta voix est neutre, grave, et calme. Peut-être que voir le Grand Sasori aussi calme est une exclusivité. En général, tu fais tout pour qu’on t’entende, pour qu’on te voit, pour que tu sois le centre de l’attention, pour que l’on reconnaisse ta supériorité. Cependant, n’as-tu pas déjà tout ça ?

Elle t’entend parfaitement à cette distance presque intime.
Tu es le centre de l’attention, puisque seul être vivant en sa compagnie.
Pour ce qui est de ta supériorité … Le simple fait de supporter, tant bien que mal, son énergie est un exploit en soi, non ?
Ça te plaît de le penser.

Tu ressens presque un soulagement dans ton corps, sans comprendre pourquoi dans un premier temps. C’est comme si une montagne venait d’être retirée de tes épaules, comme si tu pouvais respirer normalement à présent. Tu n’as pas le temps de réfléchir davantage ou de profiter de cette libération qu’une main s’approche de ton visage. Comme pour te toucher. Comme pour caresser ta peau.

Tu as ce réflexe de reculer.
De quelques centimètres.

Diverses émotions traversent ton esprit. Ton visage n’exprime plus rien, à part la confusion. Il est rare que tu te laisses submergé de cette façon, que tu laisses paraître tes réelles émotions. Tu es partagé. Tu aimerais te laisser porter par ce moment, par les sensations que cette humaine t’offre bien malgré elle. Mais tu ne peux pas.

Tu ne veux pas.
Pourtant, c’est plus fort que toi.

Malgré le fait que tu aies légèrement reculé, comme apeuré de cette proximité, tu ne cesse de la fixer. Tu reprends cette expression confiante. Parler de toi, tu sais faire, oui. Tu te concentres dessus. « Vous dites cela comme si une nouvelle rencontre n’aurait jamais lieu. Bien sûr que je partirai vivant d’ici, je ne suis pas un de ces faibles humains dont la vie ne tient qu’à un fil. Je suis un Yôkai, et tout comme vous, de nombreuses rumeurs courent à mon sujet. » Un nouveau sourire fier de cette révélation étire tes lèvres.

Juste avant que ton regard ne dévie sur la peau fragile de cette humaine.
Tu desserres ton emprise sur sa main, pour venir faire rencontrer vos paumes.
La chaleur qui se dégage de la sienne te donne envie de fuir.
Autant qu’elle foute le bordel dans ta tête.

Tu relèves vos mains devant ton visage, cachant tout le bas de celui-ci.
Tu la fixes intensément, tout sourire ayant disparu de ton visage.
« Vous méritez la liberté. Cette île n’est pas faite pour vous. »

Tu ne t’attendais pas à une révélation aussi longue. Tu ne t’attendais pas non plus à ce qu’elle partage le fond de sa pensée. Tu t’es plongé dans la désillusion lorsqu’elle semblait un peu contrariée d’avoir tué ces gens, mais elle devient de nouveau intéressante. Elle ne semble pas avoir conscience de l’importance d’une vie, et quelque part, au fond de toi, ça te plaît. La fatalité est présente dans ce qu’elle te confie, dans sa définition sous-entendue de la mort et des responsabilités qu’elle a sur les épaules. C’est un aspect que tu apprécies vraiment, dans le sens où elle passe rapidement à autre chose, sans sourciller.

Même si tu ne veux pas l’avouer, elle te fascine.

Elle se décharge de sa culpabilité si facilement. Elle rejette la faute sur ces gens inconscients du danger. Elle se voile peut-être la face, mais tu aimes ça. Sous ses airs de Sorcière à la Beauté ensorcelante, elle est une jeune pousse sur la voie de devenir une fleur carnivore. C’est sûrement cet aspect qui te fait sourire, qui te donne envie de l’emmener avec toi, par-delà ce lac, par-delà les Provinces.

Tu as pour but de la convaincre.
Sans trop savoir pourquoi.

« La cruauté est en chacun de nous. Vous savez l’exprimer avec des mots, sans vous cacher ; tandis que d’autres auraient préféré se défendre plutôt que d’accepter si aisément. Vous êtes bien curieuse, pour une humaine. » Tu peux enfin parler des humains sans retenir les sentiments que tu ressens envers eux. Autant de dégoût que de lassitude. Autant d’amour que de haine pour leur vie si courte.

Dire que vous êtes proches est un doux euphémisme. Tu peux sentir son odeur boisée, traditionnelle, ainsi que son souffle sur ton visage. Tu pourrais aisément l’enlacer, tout comme t’éloigner pour respirer ton propre oxygène. Tu ne fais rien. Tu te contentes de vivre l’instant présent. Elle s’approche encore de toi, et bien que tu aies à nouveau ce réflexe de te reculer, tu rencontres dans ton dos, une poutre porteuse de la petite bâtisse. Tu as oublié où tu es l’espace de quelques minutes, ton esprit a vagabondé ailleurs en oubliant ton environnement.

À l’évocation de ta véritable nature, ses yeux brillent d’une admiration non feinte, tandis que la surprise se mêle à ses iris violacés. Tu te contentes alors de t’adosser plus ou moins contre le bois, sans pour autant briser cet échange offert par le biais de vos mains. Tu es face à elle, et peut donc l’observer sans retenue aucune. Tu lui souris, sa réaction est … Adorable ? Oui, quelque chose comme ça.

« Ces Yôkai sont plus nombreux que vous le pensez. Votre énergie est si forte qu’elle me force à reprendre des traits démoniaques si cela peut vous rassurer. Voici donc l’apparence que j’arbore au quotidien. » Voici donc la source de ton confort. Ce poids qui s’est soudainement envolé, c’était donc le maintien de la forme humaine exagérée qui s’évanouissait. Tu te sens un peu plus toi-même, à un détail près.

Ce kimono qui remonte jusqu’à tes épaules.
Cette chaleur insoutenable qui s’installe.

Tu défait donc tout le haut de ton habit. Comme à ton habitude, tu retires une seule manche, gardant la main de la jeune humaine dans l’autre sans lâcher prise. Tu laisses toutes tes marques à l’air libre ; ton abdomen découvert laissant trôner fièrement cette cicatrice en forme de fleur ; et tes muscles saillants. Tu pousses un léger soupir d’aise, avant de te concentrer à nouveau sur elle. « Votre impatience montre votre intérêt pour moi, et vous m’en voyez flatté. »

Peut-être que si elle sort de cette île un jour, elle entendra toutes les rumeurs sur toi.

Son sourire change, sans s’effacer. D’une joie indescriptible, il se transforme bien vite en mélancolie, frôlant le désespoir. Ainsi donc, elle a déjà songé à partir de ce minuscule morceau de terre. « Le désir ? Je pourrai vous en offrir. » Un petit sourire malicieux s’installe, pour corriger tes propos ensuite. « Notre pays aura certainement une place pour vous ailleurs que sur ce lieu d’exil. Tant de choses attendent d’être découvertes, et moi … » Tu te coupes rapidement, confus par tes pensées. Et puis tu reprends, avec ferveur, avec confiance. Une petite flamme dansant dans le fond de tes prunelles. « Partez avec moi. Oubliez votre passé, commencez une nouvelle vie. » Toi aussi, à ton tour, tu resserres l'étreinte autour de vos doigts entrelacés, comme pour la retenir. Encore une fois.

De gré ou de force, elle quittera cette île.

Avec une apparence humaine, se rapprochant de celle de ton frère, tu n’es pas vraiment à l’aise. Toi, tu n’aimes pas te cacher. Cacher qui tu es, ce que tu es. Même si parfois, tu y es contraint. Tu apprécies fortement tes origines, ton apparence, tu es quelqu’un de vrai. Au moins pour ce côté. Parce que le mensonge fait aussi partie intégrante de ta personnalité, et tu n’hésites pas à t’en servir pour arriver à tes fins. Cependant, au vu de ton rang dans la Société, du nombre de tes connaissances dans le monde démoniaque, la politesse est ancrée dans tes valeurs, alors peu importe l’apparence que tu prends, ta manière de parler ne changera pas. Pas tant que ça … Les humains n’ont généralement pas le droit à autant de respect de ta part. Ils ne sont que des fourmis sur ton passage. Lorsque le calme plat règne dans ton esprit, tu réussis à maintenir une conversation cordiale et sereine.

Comme avec cette humaine.

Tu te sens mieux, plus à l’aise alors que ton kimono est descendu de ton torse. Tu n’aimes pas être trop habillé. Qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il neige, tu as toujours tes vêtements ouverts, voire même défaits. C’est ainsi, c’est ta manière d’être, la nonchalance à l’état pur. Ton pouvoir ardent aidant certainement à garder une chaleur constante, peu importe les températures. Tu prends un peu plus de libertés, tu laisses reposer ton dos sur le bois de la bâtisse. Tu l’observes, tu la détailles. Si ta main n’était pas déjà prise, tu aurais croisé les bras. Une habitude que tu as prise également avec le temps.

Alors que tu t’es partiellement déshabillé, tu sens son regard dévier sur ton corps. Un sourire satisfait apparaît alors, laissant volontairement son attention se perdre sur ta personne. Tu aimes sentir ses yeux sur toi, te regarder de manière si innocente et curieuse. Une fascination réciproque est en train de vous emporter, doucement mais sûrement. Tu es flatté, et même si tu lui dis clairement par rapport à son intérêt, cela va bien au-delà de ce simple sentiment.

La fixant avec intensité, tu ne rates aucun de ses gestes. Aucune de ses intentions. Sa main s’avance avec hésitation vers ta peau, jusqu’à ce qu’elle fasse glisser un de ses doigts le long de tes « tatouages ». Elle prend son temps, comme hypnotisée. Ton sourire est parti, un étrange sentiment s’installe au creux de ton ventre, tu es subjugué par ses expressions. Quelques petits frissons te parcourent, redressant les poils sur ton corps à chaque passage de sa main sur toi. Tu gardes le silence, tu te contentes simplement de te perdre.

Ses mots te ramènent à la conversation entretenue depuis ton arrivée. « Pour un simple mécontentement … Si cela devait arriver, vous alimenteriez les rumeurs à mon sujet. Cela ne me gêne pas, j’ai une réputation à tenir après tout. » Tu aimes voir la crainte dans les regards, écraser tes adversaires sans aucune pitié, aller envers et contre tout, soulever des réactions sur ton passage. L’attention que te porte cette femme est différente de tout ce que tu as déjà vu aujourd’hui. Tu ne peux empêcher Chiaki d’apparaître dans ton esprit, même si tu sais que rien ne sera jamais pareil.

Sa dernière question te surprend, te sort de tes pensées. Tu penches la tête sur le côté et affiches un léger sourire. « La liberté. » De toi-même, tu tires un peu sur vos mains liées pour l’attirer vers toi. « Une solution pourrait être trouvée pour vos pouvoirs, si tel était votre désir. Vous m’aideriez peut-être à combattre mon ennui, tandis que je vous ferai découvrir tout ce dont vous pouvez rêver. » Un regard taquin sur sa personne, des sous-entendus qu’elle ne comprendra sûrement pas. Puis des mots sérieux, sincères. Une expression faciale qui change du tout au tout. Presque comme un regret qui traverse tes traits. « Je ne vous oblige pas à rester avec moi. Le monde est vaste, les opportunités seront nombreuses. Je ne vous retiendrai pas. »

Ton regard assuré le fixe, avant qu’un petit léger rire ne soit soufflé par ton nez. « Je le ferai si cela peut vous rassurer, oui. » Tu sais d’avance que tu ne voudras pas brider ses pouvoirs. Bien au contraire. Tu aurais plutôt tendance à laisser l’expansion de ses malédictions toucher le plus de monde possible. Cependant, si tu oses la ramener à Mino ou Hida, il va falloir qu’elle contrôle tout ça, pour que tes petites fourmis n’en pâtissent pas. Après tout, il serait dommage de les tuer maintenant, alors que ta réputation divine n’est pas encore totalement accomplie.

Tu peux lui offrir tellement de choses qu’il serait trop long de tout énumérer. Tu laisses alors son imagination et ses envies faire le travail. Il suffisait qu’elle demande, pour que tu lui donnes sur un plateau d’argent. Tu l’entraînes vers toi, ou devrais-tu dire, quasiment sur toi. Sa main sur ton épaule l’empêche de tomber. La chaleur de la vie s’insuffle à travers ce nouvel échange. Il y a comme un jeu entre vous, bien que tu doutes vraiment qu’elle connaisse le sens de ce mot.

Son regard paraît trop innocent.
Loin de la débauche dans laquelle tu as l’habitude de baigner.

Tu veux souiller son âme.
De sombres desseins se faufilent dans ton esprit.

Tu es malsain.
Tu l’as toujours été.

Tu as envie de tester ses réactions. Tu écoutes avec une certaine attention les battements de son coeur, qui ne s’affolent pas, qui ne tressautent pas. Cela te rend curieux et impatient. Tu veux la faire réagir, de n’importe quelle façon, mais pour cela, il te faudra un peu de temps. Oui, du temps, pour mieux apprécier le résultat. Tu essaies de t’en convaincre, alors qu’elle semble perdue dans ses pensées, après ta proposition.

« Votre vie est éphémère, si courte … » Tu fermes les yeux à cette révélation. Tu en as le cœur qui se brise. Bien qu’il serait bien d’en avoir encore un aujourd’hui. Tu l’as arraché, expulsé de ton corps afin de pouvoir oublier, et arrêter de souffrir pour la disparition de Chiaki. Tu aurais aimé arracher tous les souvenirs et la douleur qui allaient avec, mais tout ceci n’était pas possible. « Vous devez en profiter tant qu’il est encore temps. Vous trouverez bien de nouveaux objectifs, de nouvelles envies en cours de route. »

Elle continue sur sa lancée, réfléchissant sûrement plus que de raisons à tout ce qu’elle voudrait faire, une fois le pied sur l’autre rive du lac Shinji. Tu replonges tes yeux carmin dans les siens, Elle affirme que ta présence ne sera pas un problème, qu’elle la désire, et ton regard s’assombrit. Son innocence à des limites, et ta patience en possède une très courte. Tu essaies de contenir tes questions, mais après qu’elle te confie qu’elle ne peut réellement refuser ta présence, prête à te supporter sur une période indéfinie, tu approches ton visage du sien pour venir renifler l’odeur de son cou.

La tentation est trop grande.
Ta mâchoire puissante ne laisserait pas grand-chose d’elle.
Tu fermes les yeux.
Tu renifles encore une fois.
La tentation s’agrandit.

Mais tu ne fais rien.

Tu finis par te reculer, pour reprendre tes esprits. Tu laisses tes pulsions se calmer. Depuis combien de temps n’as-tu pas dévoré quelqu’un sur un coup de tête ? Toi, qui fais semblant de prendre soin de ces humains, tu as laissé de côté tes besoins primitifs, pour rester dans tes souliers. Dans quel but ? Être adulé, devenir un Dieu vivant, pouvoir écraser n’importe qui.

Est-ce que ça en vaut la peine ?
Oui.

Tu hausses un sourcil lorsqu’elle te dit qu’il lui faut préparer sa dernière soirée. « Cela veut dire que vous venez avec moi ? » Si facilement, tu l’as convaincue à quitter ce trou, cette île aux cadavres. Et puis un détail te frappe, te faisant froncer les sourcils. « De qui parlez-vous ? » La méfiance revient au galop, alors que tu lâches tout doucement l’étreinte sur sa main, lui permettant de s’éloigner de toi si elle en a envie.

Cette humaine n’a certainement pas fini de t’en montrer de toutes les couleurs.

Ce moment où ton nez renifle avec une pulsion malsaine la peau de son cou, perdu dans ton esprit démoniaque qui reprend le dessus, tu ne sens qu’à peine cette main dans ta chevelure. Tu es enivré par l’odeur de son corps, par le parfum de cette chair que tu pourrais détruire en une seule morsure. Tu pourrais la déchiqueter, l’entendre crier à tes oreilles, dévorer sa beauté et la taire à jamais, garder en toi l’âme de cette femme pour toujours. Tu pourrais l’immortaliser maintenant.

Mais sa main te caresse.
Doucement.
Tendrement.

Tu recules, la laissant vivre. Elle n’a sans doute pas conscience du prédateur que tu es. Naïve. Incapable de mentir. Tu le ressens au plus profond de toi. Tu l’as assez observée depuis ton arrivée, pour savoir qu’elle te croirait. Quoi que tu lui dises. Si tu venais à la tuer, la blesser, la faire saigner, te pardonnerait-elle avec un sourire rempli de douceur ? Ou ira-t-elle jusqu’à te maudire jusqu’à la fin de ton existence ?

Pourquoi penses-tu à cela ?

Ainsi, il lui manquait quelque chose pour la décider à partir. Toi qui avais pensé à la forcer, à la traîner hors de cette île qu’elle le veuille ou non, finalement, tu n’auras pas à aller jusqu’à cet extrême. Bien que cela t’aurait amusé de la garder captive à tes côtés, le temps de lui apprendre les plaisirs de la vie. Elle a maintenant accepté de t’accompagner, tu auras donc tout le loisir de lui faire découvrir, de lui faire apprécier les vices. Mêmes les plus intimes.

Les contacts physiques s’arrêtent parce que tu l’as décidé. Cela a duré plus longtemps que tu ne l’aurais pensé. La nuit commence à envelopper le lac de son voile foncé, alors que tu ne bouges pas d’un pouce, regardant la mine déçue de l’humaine qui se lève tant bien que mal. Manquant de tomber.

Par réflexe, tu t’es avancé.
Tu as tendu la main.
Pour la rattraper.

Qui es-tu ?
Sasori ne ferait jamais ça.

Tu te replaces avant qu’elle n’ait le temps de voir que tu souhaitais l’aider, et la regarde d’un air songeur. À sa question, tu te contentes de secouer doucement la tête. Tu n’as jamais entendu parler d’un tel Dieu, tu te demandes si elle n’a pas inventé cette compagnie pour détruire sa solitude. Bientôt, elle sera débarrassée de tout cela, pour vivre une partie de sa vie avec toi. En ta compagnie.

Cela te réjouit.
Autant que ça t’ennuie.

Tu te contentes d’acquiescer après ses paroles, tu ne l’écoutes que d’une oreille distraite. Son attention n’étant pas totalement dirigée vers toi, tu n’as pas envie d’écouter. Elle est avec toi, et la discussion sur cet être imaginaire ne te plaît pas. L’admiration et le respect qui découlent de ses mots ne te plaisent pas non plus. Cependant, à part ton regard sombre, tes quelques réponses vagues, et cette nonchalance qui revient, tu ne l’exprimes pas.

Le temps défile si lentement que tu as l’impression de mourir d’ennui. La lune éclaire la surface du lac, et si tu as bien compris malgré tout, elle est censée faire quelque chose pour dire adieu. Tu t’étais levé entre temps, tu avais marché dans ces horribles fleurs afin de te dégourdir les jambes. Afin de t’occuper du mieux que tu le pouvais. Au final, tu n’avais pas retrouvé le père de ce gosse, il allait être déçu. Tu ne passerais pas non plus pour un héros.

Le ciel est noir à présent, éclairé par de faibles petites étoiles lumineuses. Tu t’approches de la rive du lac la plus proche de la bâtisse, et t’accroupis pour tremper tes mains et ainsi les passer sur ton visage. Les glissant jusque dans tes cheveux. Geste que tu fais à maintes reprises, pour te rafraîchir. Ton kimono totalement ouvert et détendu sur tes hanches, tu regardes le reflet de ton visage dans l’eau.

Lui aussi, vivait non loin d’un point d’eau.
C’est d’ailleurs là-bas que tu l’as retrouvé.
Dans une marre de sang.

Tu observes le reflet de la lune osciller sur l’eau, les ondulations ne permettent pas d’avoir une image parfaite de toi. Tu te perds dans tes pensées, incapable de te concentrer sur quoi que ce soit. Pourquoi penses-tu autant à Chiaki aujourd’hui ? Toi qui aimes avoir le contrôle sur tout, tu ne parviens même pas à calmer ton esprit, qui s’éveille en présence de cette humaine.

Ils n’ont rien en commun.

Tout d’abord, elle est une femme. Tu as aimé un homme. Il avait une chevelure noire, et des yeux incroyablement bleus. Elle a de doux reflets violacés dans sa longue tresse, alors que ses yeux ressemblent à de l’améthyste pur. Rien n’est pareil, sauf peut-être ce côté tactile. Lui aussi aimait te toucher, pour un oui ou pour un non, dés qu’il en avait l’occasion. Parce qu’il appréciait ta présence, cet amour que tu lui portais, et le fait que tu restais avec lui.

Jusqu’à la fin.
Même si elle fut prématurée.

La spiritualité qu’il possèdent, Chiaki et cette femme, n’est pas la même non plus. Bien que puissante, l’une était bonne, l’autre mauvaise. Chiaki ne cherchait qu’à aider son prochain, à protéger les autres. Emi semble se foutre du sort des autres, et même rejeter toute forme de culpabilité, de responsabilité. Ils sont si différents, oui, alors pourquoi Chiaki te hante à ce point depuis qu’il y a eu ce contact physique ? Ces peaux liées, ces doigts entrelacés, cette si petite main dans la tienne …

Tu deviens fou.
C’est la seule explication.

Tu sors de tes pensées par un mouvement irrégulier de l’eau, et tu constates qu’une barque approche de la rive. Un autre humain ? Non, tu ne sens pas d’odeur particulière. Cette carcasse de bois semble voyager seule, tu hausses un sourcil et te lèves doucement. L’humaine ne met pas longtemps à te rejoindre, et commencer à décharger le contenu du bateau de fortune.

Tu ne réponds rien, la laissant remplir ses bras de provisions. Peut-être que ce Dieu dont elle parlait plus tôt n’est pas un ami imaginaire en fin de compte. Mais toi, tu es quelqu’un qui croit ce qu’il voit, tant que tu n’auras pas vu de tes propres yeux ce fameux Dieu, tu n’y croiras pas.

Machinalement, tu suis la jeune femme pour vous poser sur le ponton avançant dans le lac, afin de déguster les mets fraîchement envoyés par la barque fantôme. Tu t’assois dans la même position que cet après-midi dans la bâtisse, sans pour autant laisser ton pied traîner dans l’eau. L’esprit un peu ailleurs, tu la regardes, et l’écoutes parler avec enthousiasme.

Tu te reconnectes au présent. Tu l’as poussée à partir sans aucune idée de destination en particulier. Après tout, le Japon est vaste. Il suffit de prendre une carte et de pointer son doigt dessus pour y aller. « Je vous emmènerai où vous souhaitez. Nous ferons ce que vous voulez. Je cherche à briser mon ennui, et c’est en grande partie la raison pour laquelle je suis venu sur cette île, rencontrer cette fameuse Sorcière. »

Tu te perds une seconde dans tes pensées, avant de la fixer. Un regard complexe à déchiffrer. Tu finis par lui adresser un demi sourire, taquin, amusé, presque inquiétant. « Quel âge avez-vous ? »

Tu termines ton verre d’une traite et le pose à tes côtés, en prenant garde à ne pas le briser. Avec tes manies brutales, tu pourrais aisément le casser entre tes doigts aux ongles aiguisés. Tu sens parfois le regard de la jeune femme sur toi, mais tu fais comme si tu ne voyais pas. Tu prends le temps de réfléchir aux destinations, en lui laissant le temps de te donner un endroit à visiter en premier. Il serait tout aussi bien de visiter Izumo d’abord, puis d’aller plus loin, progressivement. Tu suivrais ses envies. Tu fermes les yeux, profitant des températures qui ont sûrement baissé de deux ou trois degrés depuis l’après-midi.

La journée est passée si vite.

L’heure du départ n’est plus très loin. Le plus tôt serait le mieux, suivant le lieu qu’elle voudrait atteindre en premier. Le silence s’éternise un peu, tu te permets alors un petit regard de biais vers elle pour constater qu’elle réfléchit avec beaucoup trop de sérieux à ta question. Tu poses ton coude sur ton genou relevé, et appuie ta joue contre ton poing, pour la regarder franchement. Aucun sourire ne nourrit tes traits sombres, une lueur presque malsaine traverse tes yeux en la dévisageant ainsi.

Elle brise alors le calme plat, pour te parler de ses envies d’aller au Mont Fuji. Une destination qui n’est pas tout près, mais qui n’est pas impossible à atteindre en quelques jours. Après tout, tu as assez d’argent pour acheter des chevaux, ou quelqu’un pour vous transporter. C’est plutôt la chaleur qui va paraître étouffante et désagréable. Les aléas d’un voyage pas préparé.

Tu la laisses terminer sa tirade, et finit par simplement acquiescer. « Nous irons donc là-bas en premier lieu alors. Nous tenterons d’en apprendre plus sur vos racines. Nous aurons largement le loisir de faire plus ample connaissance en chemin. »

Un deuxième verre se remplit par les petites mains de cette femme. Tu ne cesses de l’observer, ses gestes gracieux et son élégance naturelle. Cet air d’innocence que tu as envie de briser, de traîner au sol sur des kilomètres pour t’emparer de sa personne.

Entièrement.
Complètement.

Elle te répond qu’elle a vingt-sept ans. Tu as pensé à moins, étant donné ses traits jeunes et frais, mais … Même si elle approche de la trentaine humaine, tu doutes fortement qu’elle est connu les plaisirs de la chair. Un sourire vicieux et rempli de sous-entendus salaces étire tes lèvres. Un sourire incontrôlable. Qui montre une joie malsaine impossible à dissimuler. « Vous avez tant à apprendre. Sur les simples plaisirs de la vie. Je vous enseignerai la liberté d’exprimer vos désirs et vos caprices. » De nouveau, tu termines le verre d’un coup.

Tu finis par te lever, quelques minutes après, avec ton élégance démoniaque et ton charisme viril naturel. Tu prends une inspiration, et sur le point de quitter le ponton pour rejoindre la barque, tu lui tends ton immense main. « Il est temps de partir, ma chère. »