Garder la tête hors de l'eau. Ft Anka bb

Cela faisait trois jours que tu étais au Japon Féodal. Tu avais bien essayé des dizaines de fois de rejoindre le puits, tu t’étais perdu, et puis tu avais pris des repères simples pour y arriver sans avoir à tourner en rond pendant des heures. Lorsque tu y étais parvenu, jusqu’à ce trou dévoreur d’ossements démoniaques, tu avais, à contre cœur, sauté dedans avec espoir que cela te ramène chez toi. Tu n’arrivais pas vraiment à t’habituer à cette époque, tout y était plus rustre, pauvre et étrange. Oui étrange était le mot. Parce que tu ne savais pas le décrire autrement.

Tu avais changé de tenue. Tu n’aimais pas rester dans les mêmes vêtements trop longtemps. Qui aimait ça ? La vieille femme du village t’avait donné les habits traditionnels que portaient les hommes, et chaque jour, tu t’empressais d’aller les laver dans le lac avoisinant pour ne pas te sentir sale. Tu le faisais généralement le matin très tôt. Cela te permettait de les enlever directement à ton arrivée au lac, pour les laver et te baigner. Juste histoire que tu restes propre. De cette façon, tu évitais les regards noirs et les paroles cinglantes du dragon qui avait décidé de ne pas te lâcher d’une semelle.

Avec discrétion, tu sortis de la petite maison déjà vide de Kaede. Tu retenais presque ta respiration lorsque tu regardas à droite puis à gauche, espérant ne pas croiser cet individu rempli de haine envers toi. Tu ne comprenais pas ce puissant ressentiment à ton égard, mais tu commençais à t’y habituer. Après tout, tu avais vécu une partie de ton enfance avec des gens qui te détestaient, t’insultaient et te frappaient ; tu pouvais bien supporter une personne de plus. Absent de ton champs de vision, tu pris alors la direction du lac, dans la forêt.

Tu avais marqué quelques arbres sur ton passage pour retrouver ton chemin à chaque fois. Tu l’avais fait la veille, pour ne pas te perdre et ensuite pour éviter les rencontres imprévues et non désirées. Jetant à nouveau un regard sur les alentours du lac pour vérifier que personne ne s’y trouvait, tu retiras presque trop rapidement tes vêtements pour les frotter avec ferveur. Une fois que cela était fait, tu les étendis sur une branche pour les laisser sécher le temps que tu prennes un bon bain. Alors bien sûr, tu te sentais à moitié nettoyé puisque tu n’avais pas de savon à proprement parlé, mais c’était toujours ça. Après tout, tu avais connu de longues périodes sans pouvoir te laver lorsque tu étais à la rue.

L’eau était froide, ce n’était que le deuxième jour de ta toilette, mais tu semblais t’y faire. Même si l’eau avait été gelée, tu aurais préféré mourir congeler plutôt que de rester dans cet état. Aujourd’hui, tu remettrais tes vêtements, ceux venant de ton époque. Tu t’y sentais plus à l’aise, un peu plus … Toi.

Dans la quiétude du lieu, tu te laissas flotter sur l’eau, les yeux rivés sur le ciel bleu, sur le soleil déchirant l’atmosphère de sa chaleur. Parfois, il était agréable de rester quelques instants comme ça. Le silence que t’apportait l’eau, la sensation de contrôle sur ton corps, sur ton flottement, sur tes pensées, t’étaient agréables. Tu n’entendais rien, et ne voyais rien à part l’étendue azur au-dessus de toi.

Tu n’entendais rien. Simplement le silence. Ou les petits bruits dans l’eau, causés par les différentes créatures qui y vivaient. Créatures que tu espérais être des poissons ou tout autre être normalement constitué, que tu connaissais dans ton époque. Tu restais inerte, paisible, sans bouger, parce que tu te sentais bien ainsi. Cela te permettait de te couper avec ce que tu vivais, cette réalité complètement folle que tu côtoyais quotidiennement depuis trois jours. C’était un des rares moments où tu pouvais réfléchir sereinement ; sans être dérangé par des éléments extérieurs, ou des « personnes » étranges. Comme ce personnage rempli de haine qu’était le bicolore. Il ne te parlait pas la plupart du temps, ou alors pour te balancer des menaces. Il passait le plus clair de son temps à te lancer des regards noirs, ou te suivre partout, prétextant qu’il serait le seul à pouvoir et devoir te tuer. Au départ, tu le fuyais comme la peste, mais il semblerait que ton sens d’adaptation était plus fort que prévu, parce que tu ne te laissais plus marcher sur les pieds. Tu répliquais de plus en plus, libre de pouvoir enfin communiquer et te défendre. Même si avec le dragon à forme humaine, c’était plus un combat de coq verbal qu’un véritable échange constructif.

Tu n’avais pas envie d’y penser, parce que pour le moment, il n’était pas là. Tu te prélassais tranquillement, lavant ton corps de toute cette saleté féodale, espérant ainsi nettoyer cette époque pour retourner dans la tienne.  Malheureusement, les choses ne pouvaient pas être aussi simples. D’ailleurs, tes moments de répits étaient souvent brefs. Lorsque les ondulations de l’eau se firent plus brusques, tu fronças les sourcils en te redressant, la boule au ventre. On ne savait jamais ce qu’il pouvait y avoir dans l’eau, ou dans la forêt, avec ce monde.

Tes yeux le fixèrent un instant, tu restas incrédule. Le bicolore semblait vouloir se rapprocher de toi, mais finalement, il reculait à présent, rouge de honte et d’embarras. Il cria sa surprise, alors que sans t’en rendre compte, tu mis une de tes mains sur tes parties intimes. Tu haussas un sourcil et pendant quelques secondes, tu ne sus quoi répondre. Alors lui aussi pouvait ressentir d’autres émotions que la colère. Tu avais envie de te moquer de lui. Sans doute que c’était ton unique chance de le faire. « Si je te fais tant d’effets, fallait me le dire ! » Un petit sourire narquois dressa tes lèvres, alors que ta nudité ne te gênait absolument pas.

Fier de tes propos, tu marchas lentement jusqu’à sortir complètement du lac et retrouvas bien assez tôt tes affaires séchant naturellement. Si le reste de ton corps ne te dérangeait pas, il y avait bien une partie qui ne devait être vue. Surtout à une époque pareille, tu n’étais pas certain que ce soit compris ou bien vu. Tu préférais cacher ce détails pour le moment. De toute façon, cela ne regardait personne d’autre que toi.

Tu rejoignis rapidement la branche sur laquelle étaient étendus tes affaires, récupérant ton caleçon pour l’enfiler avec empressement. Il n’était pas tout à fait sec, mais cela se ferait avec le beau soleil présent au-dessus de ta tête. Tu percutas sur un détails qui te fit froncer les sourcils et regarder avec agacement le bicolore. « Mais attends, tu m’as suivi ?! »

La réaction qu’avait le bicolore te faisait rire, t’amusait au plus haut point. Intérieurement, tu te sentais fier de le mettre dans cet état, parce que c’était inédit. Et surtout pour lui faire payer les grosses frayeurs à ton arrivée au Japon Féodal. Tu ne te serais jamais imaginé qu’il puisse ressentir une autre émotion qu’une haine profonde à ton égard. Tu n’aurais jamais cru qu’il rougirait à la simple vue d’un corps nu devant lui. C’était juste hilarant, et ton visage ne pouvait cacher cette sensation de pouvoir sur lui. Bien que tu tentais de le faire avec modération, parce que tu ne pouvais pas non plus jouer avec la mort.

Cependant lorsqu’il répliqua, cela te fit un peu moins rire. Il te tapait sur le système à t’insulter tout le temps, alors tu ne tardas pas à monter en pression. « C’est sûr que je n’ai rien à voir avec un vulgaire monstre sorti d’un conte pour enfant. » Tu le défias du regard, malgré quelques frissons te parcourant, ceux-ci t’ordonnant d’arrêter de chercher une telle créature. Cependant, il n’était pas dans ta nature de te rabaisser à qui que ce soit, de te laisser faire, de fermer ta bouche. Hors de question. Ta petite réplique te rendait fier à nouveau, tu n’avais pas perdu en mots tranchants, et cela te rassurait. Tu passas donc à côté de lui en le regardant avec un petit sourire moqueur.

Son visage était loin d’être laid, bien que sa brûlure restait vilaine. Tu te mis à te demander furtivement ce qui lui était arrivé. Et cela t’arrivait souvent de te questionner sur le « pourquoi il me déteste tant », sans trouver de raisons plausibles. Cachant toujours le devant de ton corps, la partie sous la ceinture, tu avanças sans te dépêcher pour sortir de l’eau. Et à entendre le mouvement de l’eau, le bicolore te suivait de près. Il était vraiment pire qu’un pot de colle.

Ce ne fut qu’une fois un caleçon enfilé que tu lui demandas s’il t’avait suivi. Il faudrait que tu travailles tes sens, d’une manière ou d’une autre, parce que tu n’aimais pas du tout ce qu’il faisait. Tu voudrais au moins être au courant, pour éviter que ça t’énerve à chaque fois. « Tu parles tout le temps de mon odeur. Mais si j’ai l’odeur d’un poisson pourri, pourquoi tu te fais subir ma présence ? T’es maso … » Tu haussas un sourcil à la dernière phrase que tu prononças à demi mot. Il était tout de même bizarre, c’était un fait.

Tu te demandas ensuite quelle pouvait être la fin de sa phrase. En fait, avec lui, tu te posais trop de questions. C’était horrible. Il t’avoua qu’il serait ton bourreau lorsque l’heure serait venue. Tu commençais sûrement à t’habituer à ses menaces, tu ne réagissais même plus. Au départ, tu avais peur, mais tu avais compris que quelque chose, ou quelqu’un, l’empêchait d’agir comme il le voulait. Tu n’en jouais pas trop, mais tu pouvais te permettre de lui répondre au moins sur le même ton que lui. Tu levas les yeux au ciel et d’un ton acerbe, tu lui balanças : « Tu vas devoir apprécier ma sale tête pour parvenir à tes fins. La vie n’attendra pas un siècle avant de m’ôter la vie. »

Il te gonflait avec ses histoires de meurtre. Il n’avait que ça à la bouche depuis ton arrivée dans ce monde, et tu ne comprenais pas pourquoi. Ça te saoulait, de plus en plus. Chacune de ses menaces pesait sur tes épaules, assombrissant un peu plus ton regard. Tes parents avaient voulu te tuer, du moins, psychologiquement. Et pendant une période, ils avaient réussi. Jusqu’à ce que tu prennes ton envol, que tu décides de partir, de décider de ta mort. Tu n’avais surtout pas eu envie qu’ils soient les dernières choses présentes sur ton cadavre. Tu aurais préféré tomber dans ce monde à cette époque-là, car, rien ne t’aurait donné envie de rentrer. Car, cela t’aurait probablement sauvé.

Aujourd’hui, tu te coltinais une créature qui ne cessait de te menacer qu’il allait te tuer, qui t’insultait, qui te descendait au niveau d’un insecte sous son pied. Ton regard se faisait plus froid, la colère montait à tes oreilles, les rendant brûlantes et rouges. Tu avais envie de le frapper, mais tu ne pouvais pas. Tu avais envie qu’il se taise et qu’il déverse sa haine sur quelqu’un d’autre, dans un autre endroit, mais tu savais qu’avec son caractère de merde et sa ténacité, il ne partirait pas. Cependant, tu le trouvais maso de s’infliger de si grandes peines en restant avec toi.

Tu voyais à ses émotions qu’être en ta compagnie faisait remonter de terribles choses en lui. Tu n’étais pas sûr d’être la source de sa colère, quelque chose se cachait sous cette carapace mais ce n’était pas toi qui irais lui retirer ou voir ce qui s’y cachait. Tu avais bien d’autres problèmes à gérer.

Ton visage pâlit lorsque tu le vis changer d’expression. Lorsque l’épisode de ton arrivée refaisait surface en observant ses traits et en entendant sa voix. C’était comme un appel à courir loin de lui, à détaler comme un lapin sans chercher son reste. Mais tu étais autant frustré que lui sur bien des points et ton esprit têtu et rebelle t’empêchaient de fuir une fois de plus.

Cependant, malgré le mépris que tu ressentais à son égard, tu ne pus t’empêcher d’avoir un pincement au cœur. Parce qu’il semblait dévaster, comme piégé dans un étau sans savoir comment se débattre, s’en défaire.

Tu eus pitié de lui.

Mais il reprit son petit discours, continuant de déverser sa haine sur toi comme si tu n’étais qu’un vulgaire punching-ball. Peut-être que tu ne représentais que ça à ses yeux. Mais cela commençait à être trop pour ton coeur qui s’emballait, tes poings qui se serraient. L’envie de le frapper te démangeait, tu avais du mal à te contenir. Il fallait qu’il la ferme, sinon tu allais craquer. Il te saoulait, et ça devenait difficile à canaliser. « MAIS TU VAS LA FERMER OUI ? »

Tu l’attrapas par le col de ses vêtements et approchas vos visages pour n’être qu’à quelques centimètres. Oops. « Tu me tapes sur le système à dire que tu vas me tuer. T’attends quoi ? Si c’est pour t’entendre tous les jours te plaindre, je préfère mourir maintenant. Tu parles comme s’il n’y avait que toi qui souffrais dans cette histoire. Et puis je sais même pas pourquoi tu me détestes, j’te connais pas ! » Ken, tais toi, tu vas trop loin. L’inviter à te tuer n’est sûrement pas la solution. Tu continuas à hausser le ton, tu n’avais peut-être pas de cordes vocales dragonnes, mais tu pouvais au moins montrer que tu ne te démontais pas face à son sale caractère. Tu le relâchas d’un geste nonchalant mais continuas de le fixer avec une attention particulière, et une certaine frustration dans le fond du regard. « Si je suis si faible, tu n’as qu’à m’écraser et on n’en parle plus. Mais je pense que tu te venges sur moi de ta propre faiblesse … Alors fous-moi la paix, tues-moi ou supportes moi en silence. »

Tu t’éloignas d’un ou deux pas. Tu te rendis compte de ce que tu venais de dire, et tu ressentis quelques frissons te mettre en garde à nouveau. Tu tentas de calmer ta respiration, fermant les yeux rien qu’une seconde pour te recentrer. Cette colère … Tu ne l’avais pas ressenti depuis des années. Tu pensais qu’elle avait disparu, mais tu t’apercevais que tous tes efforts pouvaient être détruits à cause d’une personne. Tu le fixas à nouveau d’un air déterminé, les sourcils froncés, et le visage fermé. En l’occurrence, à cause de lui.

Tu regrettas une fraction de seconde d’avoir saisi son col, il avait juste à te mettre une claque pour que tu voles à plusieurs mètres. Ce n’était pas difficile pour lui, étant donné sa force, sa véritable nature. Par contre, si tu lui fichais un pain dans la figure, pas sûr que cela lui fasse de l’effet. S’il détournait même le visage, ce serait déjà bien. Mais tu n’en étais pas là. Tu n’y pensas qu’une seconde avant de te mettre à lui cracher au visage tout ce que tu intériorisais depuis presque trois jours entiers. Cela ne faisait QUE trois jours, mais tu semblais être ici depuis une éternité à cause de cet énergumène.

Tu ne remarquas que légèrement son embarras quant à votre proximité, mais tu étais en colère. Tu n’avais pas envie de le ménager, pas après tout ce qu’il te jetait au visage depuis son arrivée au lac. Toi qui étais venu pour te détendre et lui échapper en quelque sorte, il venait te faire chier ici. Tu le détestais. C’était un fait.

Tu resserras inconsciemment ton emprise sur ses vêtements, la colère consumant les derniers remparts qui te protégeait du pétage de plomb. « Qui voudrait me protéger ou me regretter ? Je connais personne ici, je te rappelle. T’es aussi diminué intellectuellement que t’en as l’air ! » Vos propos allaient trop loin, mais la machine était lancée, difficile de vous arrêter à présent. « Tsk. C’est quoi ton problème ? » Il parlait encore de cette odeur familière pour lui, mais tu ne pensais pas sentir si mauvais que ça. Mais pour le moment, l’heure n’était pas à la remise en question sur ton hygiène.

Une de tes phrases fit mouche. Tu n’étais pas sûr de laquelle le fit reculer de quelques pas à son tour. Tu l’observas avec attention, et soudainement, il semblait parti dans ses pensées, dans des tourments que tu ne pourrais sans doute jamais comprendre. Ta colère redescendit d’un cran, et tu sursautas lorsqu’il te cria de la fermer. Sa voix semblait différente, plus empreinte à la souffrance. Ce garçon semblait emprisonné dans un cauchemar interminable, sans avoir la solution pour en sortir et ouvrir enfin les yeux sur le monde qui se trouvait autour de lui.

En le regardant longuement, tu ressentis un pincement au cœur. Toi, si empathique, tu absorbas alors sans en prendre conscience une grande partie de sa peine, de ce qui le rongeait. Tu ne comprenais pas ce qui pouvait le torturer à ce point, mais tu fus profondément touché par les expressions de son visage. De ses yeux qui se battaient pour ne pas lâcher de perles salées. Tu mordis ta lèvre inférieure de nervosité, de tristesse.

Tu ne pleurais plus depuis des années, tu avais bloqué cette partie de toi, mais cela avait décuplé ton empathie. Tu prenais tout à l’intérieur de toi, comme une éponge jamais essorée, dégoulinant de diverses émotions trop fortes pour être contenues. Tu n’étais pas capable de te défaire de cela, tu te contentais d’être en colère envers et contre tout lorsque tu n’arrivais plus à gérer. Comme aujourd’hui, avec le bicolore.

Tu gardas le silence. Tu ne savais pas quoi dire. Tu avais pensé tous les mots qui étaient sortis de ta bouche, même si cela l’avait blessé. Cette expression qu’il arborait si difficilement … Cet air abattu et si peiné … Tu ne le supportais pas, et même si vous vous détestiez, tu ne pouvais t’empêcher de vouloir le consoler. De lui tapoter le dos en lui répétant que ça irait, qu’il pouvait passer à autre chose.

Tu fixais tes pieds nus dans l’herbe, te mordant nerveusement la lèvre, sans savoir quoi faire, sans savoir quoi dire. Cette situation devenait trop pesante pour vous deux, il fallait trouver un terrain d’entente malgré le contexte. « Si … » Tu tentas quelque chose, mais finalement, gardas la suite. Tu ne savais pas comment formuler les choses. Tu t’approchas doucement de lui, tout en le fixant avec attention, une légère lueur de douceur dans le regard malgré un visage fermé et visiblement toujours en colère. « Et si avant de me tuer, tu apprenais à me connaître ? Je pense pas être cette personne à qui tu en veux tant. » C’était complètement idiot de ta part de proposer cela, mais si tu pouvais gagner un peu de temps pour vivre un peu plus longtemps et rentrer chez toi … Et puis, quelque part, tu avais envie de l’aider. Même si tu ne savais pas d’où te venait cette soudaine sympathie. Surtout qu’il voulait te tuer.

Il était difficile de savoir ce qu’il pensait. Ce qui le rongeait. Et tu n’étais pas sûr de vouloir savoir ce qui le tourmentait à ce point. Après tout, tu avais tes propres soucis à gérer, tes propres émotions à ranger proprement dans des tiroirs pour rester un temps soit peu correct en communauté. Tu étais du genre impulsif et à rentrer dans le lard directement, sauf qu’avec un personnage comme le bicolore en face, il valait mieux se méfier. Puisqu’il pourrait te tuer en une pichenette. Tu n’étais pas certain de vouloir mourir maintenant, mais si cela pouvait soulager sa conscience et t’empêcher de te poser mille questions inutiles, auxquelles tu n’avais pas de réponses … Cela t’arrangeait, donc c’était un contrat plutôt équitable.

Un silence s’imposa, comme si tous les deux, vous remettiez un peu d’ordre dans vos têtes, que vous calmiez vos esprits pour avoir, enfin, une conversation normale. Mais était-ce seulement possible avec deux têtes de mule comme vous ? La situation était compliquée dans les deux sens. Son regard franc te troubla quelques instants. Tu ne savais pas du tout à quoi t’attendre avec lui ; allait-il finalement te sauter dessus et te tuer dans l’instant ? Ou allait-il redescendre de son piédestal de colère pour parler, et essayer de comprendre que son comportement était ridicule ?

Tes yeux s’arrondirent suite à sa déclaration. « Tu n’es pas lui. » Tu voulais demander de qui il parlait, tu ne comprenais pas où il venait en venir. Mais la suite te confirma qu’au moins, tu ressemblais à quelqu’un qu’il avait connu. Peut-être que c’était cette personne qui lui avait fait du mal ou causé du tord. Tu ne savais pas, et tu ne voulais pas poser la question. En le voyant avec cette expression, ce regard, tu sentis à nouveau ton cœur se serrer. Le ton qu’il prenait en t’expliquant les différences avec cet homme qui l’avait marqué te fit faire une petite moue. Transformer un corps de femme chétive en celui d’un homme avec un minimum de muscles n’avait pas été chose aisée, mais il avait raison. Parce qu’en comparaison à lui, tu étais faible oui. Quoi de plus normal quand on est en face d’un monstre …

Tu regardas quelques instants tes pectoraux surplombant de longues cicatrices continues. Un sacrifice pour être toi-même. Pour enfin te sentir humain.

Suite à son monologue, lequel tu avais écouté et entendu avec attention, tu poussas à ton tour un soupir, avant de t’asseoir sur l’herbe en tailleur. Tu regardais devant toi, cette étendue d’eau éclairée par un soleil superbe, aux reflets aussi bleu que le ciel d’azur au-dessus de ta tête. Il avait raison sur certains points, et tu comprenais son point de vue en quelque sorte. Il n’aimait pas les humains, peut-être que c’était simplement comme ça, qu’il n’y avait pas forcément de raisons. Comme les humains qui n’aiment pas les araignées, ou les serpents, ou encore les rats. Parfois, des choses étaient comme telles et rien ne pourrait les changer. Tu ne cherchas donc pas à comprendre sa haine envers les humains, mais plutôt sa haine envers toi.

Tu croisas les bras sur ton torse et pris quelques minutes pour réfléchir à tes prochaines paroles. « Si tu te mets en tête de me suivre partout, il vaudrait mieux que ce soit agréable pour tous les deux. Je n’ai pas envie de passer mes derniers instants à m’engueuler avec toi pour les mêmes sujets. » Tu poussas finalement un soupir, qui eut pour but de te calmer, de te faire retrouver une respiration normale. « Je ne t’aime pas non plus d’ailleurs. Et je n’ai pas pitié de toi. » C’était plutôt comme un partage d’émotions, pas vraiment de la pitié, mais tu avais du mal à l’expliquer toi-même. « Tant qu'on y est, je m’appelle Ken, et toi double-face ? T'as un prénom ou je continue de t'appeler bicolore ? »

Tu ne cherchais pas une nouvelle confrontation, mais tu trouvais marrant de le surnommer comme ça, vu sa tronche. Tu te retenais de rire, tu le regardais avec une attention toute particulière, attendant sa réponse avec une certaine impatience.

Lorsque tu posas tes fesses dans l’herbe, tu l’entendis soupirer. Comme un soulagement peut-être ? Que cette stupide dispute d’enfants de cinq ans se termine doucement. Que vous cessiez d’être aussi têtus l’un que l’autre. Tu lâchas également un long soupir par le nez, relâchant la pression pesant sur tes épaules, avant d’observer avec une certaine admiration les reflets du soleil sur l’eau, rendant le tout digne d’une peinture luxueuse. Sans le dire avec des mots, tu sous-entendais que tu tolérais sa présence à tes côtés même si tu savais que l’entente ne pourrait pas se faire en cinq minutes. Ni même sur une semaine. Pas sûr que dans un mois, vous puissiez vous entendre, mais seul le temps pourra te confirmer cette hypothèse ou non.

Il t’intima que tu avais raison, sans le dire directement bien sûr, il semblait avoir une immense fierté mal-placée. Tu lui lanças un regard mi blasé, mi noir à son encontre aux mots « avec ta tronche ». Il recommençait à te chercher ou quoi. Si ton visage lui posait tant problème, il avait qu’à arrêter de te regarder. C’était aussi simple que ça. Malgré cela, tu te présentas. Non sans appuyer sur les surnoms ridicules que tu lui donnais sans arrêt lorsque tu pensais à lui. Oui, tu pensais à lui parfois, mais surtout pour l’insulter ou médire à son sujet.

Tu ne pus t’empêcher de pouffer de rire face à sa réaction lorsqu’il prit conscience des petits noms d’amour que tu lui donnais. Tu appréciais fortement te moquer de lui, c’était si facile que tu allais en prendre goût, pour sûr. « T’es pas le centre du monde, je parle jamais de toi. Tu aimerais que je le fasse peut-être ? » Tu t’amusais vraiment beaucoup, mais tu essayais de le cacher sous une mine à moitié blasée et sérieuse tout en le fixant. « De toute façon, comment tu voulais que je t’appelle ? Tu préfères me dire « shine shine » avant de te présenter. J’ai adapté en me basant sur ta tronche de deux couleurs. » Donnant-donnant. S’il te parlait mal, tu allais lui rendre la pareille.

Tu le laissas parler en levant les yeux au ciel, geste insolent visant à lui faire comprendre qu’il était agaçant. Tu décroisas tes bras pour aller toucher l’herbe avec tes doigts, tu trouvas quelques petits cailloux entre deux brins et les attrapas pour en faire une petite pile dans une de tes mains. Tu te mis ensuite à les lancer un par un dans l’eau, faisant onduler la surface aquatique si calme et imperturbable. « Je dois savoir. Ça va arriver souvent que tu viennes me rejoindre quand je veux me laver ? Ou tu as vu ce que tu voulais et tu ne le feras plus ? » Tu décidas de te lever, époussetant ton boxer avec tes mains à présent vides et libres.

Tu avais bien séché, mais tu n’avais pas eu le loisir de te laver convenablement. Mais était-ce seulement possible dans cette époque d’être 100 % propre ? Tu n’étais pas sûr. Cependant tu faisais ton possible pour maintenir une hygiène correcte au possible. Malgré tout, il y avait ce Anka qui disait que ton odeur lui était insupportable, que tu sentais comme quelqu’un qu’il avait connu. Comment changer ça ? Tu réfléchissais, perdu dans tes pensées, les yeux fixes sur un point invisible. « Quand tu dis que tu ne supportes pas mon odeur, ça veut dire quoi ? »

Tu commenças à comprendre quelque chose au sujet de ce Anka ; dans tes taquineries, il ne marchait pas. Il courait carrément dedans. Il ne mettait pas un pied, mais les deux entiers, sans se rendre compte que le but de tes propos étaient de l’embarrasser. Ce fut à ce moment que tu compris que la colère ne serait pas forcément le principal sentiment de vos conversations, tu allais apprécier le mettre mal à l’aise et le pousser dans ses retranchements. Tu n’aurais peut-être pas toujours à gérer ta colère avec lui, il valait mieux le prendre dans un autre sens pour mieux le supporter. Le tolérer.

Sa présence en elle-même ne te gênait pas mais il ne semblait pas avoir d’autres buts dans sa vie que de te tuer. Avant ton arrivée, tu te demandais ce qu’il faisait. Tu avais tout de même l’impression que tu étais son obsession du moment. Tu espérais secrètement que cela lui passerait, mais tu doutais fortement que cela arrive, étant donné qu’une histoire plus sombre devait se cacher sous ses raisons.

Il ne comprenait pas ta « blague » alors tu te contentas de hausser les épaules, nonchalant, très peu envieux de débattre avec lui sur cela. À nouveau tu levas les yeux au ciel tel un enfant insolent devant les propos de ses parents. « Forcément, tu ne penses qu’à me tuer … » Voilà pourquoi il n’avait pas trouvé l’intérêt des basiques, à force d’entendre qu’il voulait te massacrer, ces mots se vidaient de leur sens.

« Mais t’es sérieux ? Où veux-tu que j’aille ? Et puis … Je sais pas comment vous fonctionnez, vous, les Yôkai, mais être propre, c’est la base. D’ailleurs … » Tu t’approchas de lui après t’être levé et te permis de le sentir de plus près, collant presque ton nez sur la surface de son cou, observant ses réactions. « Je crois que t’as besoin d’un bain toi aussi. » Tu t’écartas bien vite pour apercevoir son visage rouge comme une pivoine et te retenir de rire.

Vint la question sur l’odeur. C’était étrange pour toi de poser cette question, mais tu voulais comprendre le fond de son problème. Comment il pouvait sentir une odeur particulière émaner de toi alors que tu n’avais pas l’impression de sentir quoi que ce soit. Être un Yôkai était vraiment étrange, du moins pour quelqu’un comme toi, qui ne venais pas de ce monde. Lorsqu’il daigna enfin te répondre, tu gardas les yeux fixés sur lui, observant malgré tout une beauté quasiment surnaturelle qui l’entourait complètement. Tu étais émerveillé pour un rien, tu le savais, mais ce Japon Féodal avait une terrible emprise sur ton âme d’artiste. Tu voulais tout dessiner, tout répertorier, tout écrire quelque part. Malheureusement, tu n’avais pas prévu ce petit voyage cinq cents années auparavant, tu n’avais donc pas pu prendre ton carnet de dessin, ni même un calepin.

Tu avais envie de soupirer, mais tu te retins, parce que Anka était en train de t’expliquer. Ton esprit avait vagabondé quelques secondes avant de comprendre enfin ce qu’il voulait dire par rapport à ton odeur. Une aura. Tu saisissais mieux le sens de ses reproches, mais de qui voulait-il parler ? Un ancêtre peut-être ? Sans doute le plus logique … Si tu réfléchissais bien, il t’avait dit que vous vous ressembliez et que l’odeur était similaire, bien que ce type dont il rêvait de se venger ne devait plus être en vie. Et surtout, tous les détails physiques différents n’empêchaient pas cette aura d’exister. Ce qui voulait dire qu’il faudrait que tu te penches sur la famille Kurage des siècles avant tes parents. Pourrais-tu le faire ? L’heure n’était pas à se poser ce genre de questions, parce que le Japon Féodal n’était pas l’endroit propice à ce genre de recherches.

Tu lui jetas un regard mauvais, puis t’adoucis pour lui lâcher quelques mots : « Comme ça, on est deux. Cela nous fait un point en commun. » Sur ces mots, tu voulais trouver un autre endroit pour te laver ; tes affaires devaient être sèches et tu voulais observer les alentours malgré toi. Kagome avait sûrement d’autres informations à te communiquer, tu irais peut-être la voir à ton retour au village. Tu récupéras tes biens, et en jetant un dernier regard au dragon, tu te faufilas à travers la forêt pour retourner à Kawagoye.